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Note de lecture : La génétique néolibérale. Les mythes de la psychologie évolutionniste (Susan McKinnon)

Voilà un petit livre (143 pages hors références) fort recommandable. L'auteur, une anthropologue américaine, se propose de régler son compte à une série de travaux se réclamant de la « psychologie évolutionniste », un avatar récent de la sociobiologie. Novice sur ce sujet, j'avais déjà rencontré les arguments des psychologues évolutionnistes – et surtout, les raisons de ne pas les suivre – dans ce livre de Pascal Picq. Le texte de Susan McKinnon, en ce qui me concerne, vient à point nommé pour enfoncer quelques clous et ouvrir quelques nouvelles pistes de réflexion.

La psychologie évolutionniste (dont le représentant le plus connu, au moins par moi, est Steven Pinker) est ce courant qui ambitionne de rendre compte d'un certain nombre de comportements humains actuels (et passés) par le fait biologique. Étant donné que les êtres humains sont, comme toute forme de vie sur Terre, le produit de l'évolution biologique, nos gènes, ainsi qu'un certain nombre de caractéristiques comportementales, sont un héritage de la période où cette sélection naturelle nous a façonnés. Déterminer quel est cet héritage génétique, quels sont ces comportements qui en découlent, et pour quelles raisons ces gènes et ces comportements ont été sélectionnés, tel est l'objet de la psychologie évolutionniste, qui se veut donc une quête scientifique de la nature humaine. Plus particulièrement, la psychologie évolutionniste ambitionne d’expliquer les phénomènes de solidarité ou d’hostilité (via la proximité génétique), ou encore les différences de comportement entre les sexes en ce qui concerne, notamment, le choix du partenaire ou la jalousie (via la pression différente qui se serait exercée sur chacun d’eux étant donné leur place spécifique dans la reproduction).

De la « rétro-ingénierie »  

Le réquisitoire que dresse S. McKinnon s'en prend, pour commencer, au manque de rigueur avec lequel la génétique et la sélection naturelle sont enrôlées au service de ce raisonnement. Les traits essentiels du comportement humain sont en effet censés s'expliquer avant tout par la biologie ; dans le paradigme de la psychologie évolutionniste :
« La culture se trouve (…) réduite aux effets (super)structurels d'une réalité biologique plus fondamentale » (p. 18). 
Ainsi que l'écrit S. Pinker :
« Nos objectifs sont des sous-objectifs des gènes : se répliquer » (cité p. 21).
Steven Pinker (né en 1954), l'un des principaux représentants
de la psychologie évolutionniste.
Or, ces gènes (et les objectifs qu'ils remplissent) sont censés avoir été forgés durant une période non réellement précisée, après que notre lignée a divergé de celle des grands singes. Cette période est désignée dans la littérature de la psychologie évolutionniste sous l'acronyme d'EEA (Environnement de l'Évolution Adaptative). Le problème est que cette période indéterminée, sans doute très longue et aux circonstances très diverses, a donc pu exercer toutes les pressions adaptatives possibles et variées. Or, la psychologie évolutionniste procède par un raisonnement à rebours (de la « rétro-ingénierie », selon S. Pinker lui-même) : au lieu de partir des conditions connues, d’en déduire la pression adaptative puis d’identifier les gènes ou les comportements qui leur correspondent, la psychologie évolutionniste part de ces gènes ou de ces comportements pour reconstituer de toutes pièces les conditions qui sont censées leur ont donné naissance – conditions qui n’ont pourtant aucune raison d’avoir été stables, ni uniques, au cours de l’EEA.

Mais l’identification des gènes et des comportements censés leur être liés souffre elle-même, d’après S. McKinnon, d’un grave défaut de méthode. Celle-ci dresse ainsi un inventaire fort réjouissant (et instructif) des « gènes » repérés dans la littérature de la psychologie évolutionniste… à défaut de l'être dans la réalité (p. 34). On découvre ainsi l'existence insoupçonnée du gène de la fidélité, de celui de l'altruisme, de celui qui incite à la soumission, etc. Lorsque ce ne sont pas des gènes qui sont invoqués, ce sont des « modules », c'est-à-dire des traits comportementaux censés être innés et sélectionnés par l'évolution (mais dont le substrat biologique reste indéterminé). Parmi ces modules : l'amour de la progéniture, l'attirance pour les muscles, pour le statut social, la détection de l'âge, le meurtre de conjoint, etc.

On regrette au demeurant que ces énumérations, par elles-mêmes tout-à-fait convaincantes, ne fassent l'objet d'aucune référence, de sorte que le lecteur ne peut pas savoir si elles sont extraites d'ouvrages mineurs et peu représentatifs ou des principales autorités de la psychologie évolutionniste.
Reste que, si l’on suit S. McKinnon, le ver est dans le fruit, et la méthode de la psychologie évolutionniste présente un vice fondamental : elle recherche l’origine imaginaire de gènes imaginaires, ou de comportements dont le fondement génétique est un postulat non démontré. J’y reviendrai à la fin de ce post.

La proximité génétique

Tout étant affaire de gènes, la psychologie évolutionniste postule que la clé ultime des comportements humains est la transmission du patrimoine génétique : voilà qui est censé expliquer à la fois l'investissement parental, le type de conjoint recherché (différent selon les hommes et les femmes), où les réseaux de solidarité (censés être d'autant plus forts que la proximité génétique est grande).

Représentation schématique de la parenté dans la tribu des Warlpiri (désert australien).
En Australie, les structures de la parenté ne recouvrent en rien les distances génétiques.
Or, les anthropologues (en particulier Marshall Sahlins, qui avait écrit en 1976 une Critique de la sociobiologie) ont fait remarquer depuis longtemps que dans la plupart des sociétés, les systèmes de parenté ne concordent pas avec la proximité génétique. Sans trop entrer dans les détails techniques, dans un système de clans (dit « unilinéaire » par les anthropologues parce qu'on hérite de son appartenance clanique soit par sa mère, soit par son père), on est réputé être plus proche de ses cousins parallèles (les enfants des frères de mon père, ou ceux des sœurs de ma mère) que des cousins croisés (les enfants des sœurs de mon père, ou ceux des frères de la mère) alors que leur distance génétique avec moi est strictement la même. Pire, un individu se sentira plus proche de gens de son clan avec lesquels il sera incapable de retracer le lien généalogique – ce lien pouvant d'ailleurs ne pas exister – que de sa propre mère en régime patrilinéaire, ou son propre père en régime matrilinéaire.

Dans le même ordre d'idées, la pratique de l'adoption, extrêmement répandue de par le monde, est une autre épine dans le pied de la psychologie évolutionniste, dans la mesure où l'on constate un investissement parental (et social, la parenté étant une dimension essentielle du lien social dans les sociétés non étatiques) avec des individus dont tout le monde sait pertinemment qu’ils ne possèdent aucun gène commun avec leurs parents sociaux.

En voulant expliquer les relations sociales par la proximité génétique, la psychologie évolutionniste procède d'un réductionnisme extrême, qui s’avère incapable de rendre compte leur diversité et de leur souplesse – au point que dans une société comme la Rome antique, par exemple, il était tout aussi admis d’adopter un enfant (génétiquement) étranger que d’abandonner sa progéniture en l'exposant publiquement lorsqu’elle venait au monde.

Hommes et femmes

On retrouve ce même réductionnisme – et ce même échec – dans l’explication de la nature supposée différente des hommes et des femmes. Dans ma note de lecture déjà mentionnée sur le livre de Pascal Picq, j’avais déjà eu l’occasion d’exprimer mon scepticisme (litote) à l’égard d’une théorie qui affirme que nos gènes dictent aux mâles de chercher des partenaires attirantes, tandis que les femelles seraient poussées à choisir les mâles pour les ressources dont ils disposent. De même, la jalousie des mâles est attribuée à une disposition génétique née de l’incertitude de la paternité. Afin de ne pas investir leurs ressources dans des enfants (et donc des gènes) qui ne seraient pas les leurs, les hommes auraient développé  une propension naturelle à s’assurer l’exclusivité sexuelle aux femmes. Enfin, l’homme aurait une propension innée à la multiplicité des partenaires, tandis que la femme afin de s’assurer la protection et le couvert de la part d’un homme, aurait développé la tendance à s’attacher un partenaire unique.

Hommes Marind-Anim en tenue de cérémonie,
photographiés dans les années 1920
S. McKinnon se fait un plaisir de dérouler les exemples ethnographiques qui prennent ces généralisations en défaut. Le lecteur est donc invité, entre autres, chez les Nayars, où les femmes avaient un mari qui n'avait aucune espèce de droit sexuel sur elles, et prenaient à leur guise des « amants visiteurs », chez les Inuits qui pratiquaient assez régulièrement l'échange d'épouses – à l'initiative des maris, et souvent contre la volonté des femmes, aurait pu ajouter S. McKinnon – ou chez les Marind-Anim de Nouvelle-Guinée, dont la religion prescrivait des rapports sexuels collectifs réguliers et qui faute d'une fertilité suffisante, kidnappaient les enfants des peuples voisins pour les élever comme les leurs.Bref, on a bien du mal à retrouver dans tout cela l'universel d'une « sexualité masculine » biologiquement déterminée, et d'une jalousie qui serait biologiquement programmée :
« Une théorie solide de la jalousie sexuelle devrait pouvoir expliquer pourquoi, lorsqu'elle s'exprime, elle peut prendre des formes si différentes ; et pourquoi elle s'exprime alors qu'il n'existe pas de mobile objectif. Si les psychologues évolutionnistes ne peuvent donner de réponse à ces questions, c'est tout simplement parce qu'elles relèvent d'autres logiques, qui échappent à la nécessité « rationnelle » de se reproduire. » (p. 42)
Quant à l'affirmation voulant que les femmes soient « naturellement » enclines à rechercher des relations stables avec des hommes aux ressources abondantes, je ne sais pas quelle place elle laisse à l'essor actuel du tourisme aux Caraïbes. Les riches dames âgées qui y trouvent, grâce à leur carte de crédit, des partenaires jeunes, beaux, mais désargentés, ne sont certainement pas moins « naturelles » que ces vieux messieurs riches qui, depuis des millénaires, utilisent leur position sociale privilégiée pour se réserver l’accès sexuel aux filles jeunes et jolies.

Une conclusion et quatre bémols

On peut donc reformuler le défaut fondamental de méthode qui grève la démarche de la psychologie évolutionniste : dans un domaine donné, parmi les multiples comportements existant dans les diverses populations (ou au sein d’une même population), elle en élit un comme « naturel », inscrit dans notre patrimoine génétique, et cherche, par un raisonnement ad hoc, à reconstituer la pression adaptative qui en est à l’origine. Quant aux comportements différents, ils sont alors interprétés en termes de déviations imposées par les structures et les valeurs sociales à cette norme naturelle. Mais ce qu’on aimerait savoir, c’est sur la base de quels critères il serait possible de déterminer, parmi l’ensemble des comportements étudiés, lequel correspondrait à la « nature », et lesquels seraient dus à la pression sociale (à la culture).
« On comprend mal pourquoi [les facteurs culturels] n'auraient pas toujours une influence, et on peut se demander selon quels critères ils seraient ou non opérants. » (p. 109)
Imaginons par exemple, qu’on considère les pratiques inuites ou australiennes de prêt d’épouse comme naturelles et génétiquement programmées ; on les expliquerait par un raisonnement évolutionniste faisant intervenir les circonstances supposées lors de l’EEA, et l’on verrait alors dans la jalousie et la volonté d’exclusivité sexuelle manifesté par les hommes dans certaines sociétés une déviation culturelle. Je ne vois pas en quoi cette thèse serait moins convaincante que celle, inverse, défendue par la psychologie évolutionniste.

Comme le souligne S. McKinnon, celle-ci apparaît donc (au moins, dans une large partie de ses productions) comme la naturalisation infondée d’un certain nombre de comportements sociaux, comportements choisis non sur une base objective, mais parce qu’ils correspondent aux habitudes, ou aux préjugés, des chercheurs qui les examinent.
 
Pour terminer, je dois émettre quatre réserves.

La première, sans doute la moins importante, concerne le titre du livre. Je ne sais pas si la psychologie évolutionniste mérite vraiment le qualificatif de « génétique néolibérale ». Après tout, toute l'étude du vivant sait que celui-ci est le produit de la sélection naturelle, dont Marx remarquait déjà – S. McKinnon le rappelle – la proximité avec la structure économique de la concurrence capitaliste. Mais on ne peut réfuter une science, ni même une pseudo-science, par sa proximité réelle ou supposée avec des positions politiques ; au demeurant, la remarque de Marx ne l'empêchait nullement de considérer la théorie de Darwin comme l'une des plus importantes jamais effectuées. La psychologie évolutionniste évoquerait-elle réellement la vision dite néolibérale que cela ne constituerait en rien un argument contre sa validité scientifique (cela peut expliquer son succès, mais c'est autre chose). Je regrette donc un peu que le livre, qui présente des arguments sur le terrain scientifique, mette dans son titre principal l'accent sur cette dimension somme toute annexe.

Ma seconde réserve est que lorsqu'elle aborde la coutume très répandue appelée « prix de la fiancée », qui oblige un homme à verser des biens à sa belle-famille pour pouvoir de marier, S. McKinnon conteste qu'il s'agisse d'un achat. Plus exactement, selon elle, ce n'est pas l'épouse, ou des droits sur l'épouse, que le mari achète, mais sa propre liberté – pour preuve, les formes de dépendance dans lesquelles il est réduit s'il ne paye pas. Cette interprétation a, il me semble, à peu près autant de sens que si l'on expliquait qu'aujourd'hui, lorsqu'on achète une voiture, on ne paye pas pour elle, mais pour racheter sa propre liberté, que l'on perdrait si l'on emportait la voiture sans la payer.

Franz Boas (1858-1942), critique de l'évolutionnisme
et fondateur de « l'anthropologie culturelle »
Le troisième point est que si la plupart des critiques émises par S. McKinnon à l’encontre de la psychologie évolutionniste emportent mon adhésion, je ne m’identifie pas pour autant à sa filiation, qui est celle de « l’anthropologie culturelle » américaine. On doit certes opposer à la psychologie évolutionniste le fait que dans l’espèce humaine, les gènes ne commandent pas de manière immédiate le comportement des individus (même sur un plan statistique). L’action des gènes, même lorsqu’elle existe, ne s’exerce à de rares exception près que par l’intermédiaire de la culture, qu'il est impossible de ramener à une simple logique de transmission génétique ; on ne peut donc faire l’économie de la compréhension des traits culturels (et des structures objectives qui les sou-tendent) lorsque l’on veut pénétrer un tant soit peu le comportement humain dans son immense diversité. Mais cela ne veut pas dire, ainsi que le suggère S. McKinnon, que la culture soit suspendue dans les airs et qu’elle soit libre de toute contrainte et de toute détermination. La théorie marxiste – le matérialisme – permet précisément de comprendre que n’importe quel mode de vie ne produit pas n’importe quelle organisation sociale, ni n’importe quel mode de représentation des relations sociales (la culture). Insister sur la diversité et l’unicité des cultures n’est pas en soi illégitime, à condition de ne jamais perdre de vue leur unité profonde, et les fils invisibles mais fort  qui relient ces cultures aux conditions matérielles objectives d’existence des hommes.

Enfin, un point essentiel : il me faut souligner que ma connaissance de la biologie en général, et de la psychologie évolutionniste en particulier, est extrêmement limitée ; pour tout avouer, elle se borne aux critiques que lui ont adressées quelques adversaires. Il est donc possible que ces critiques, si légitimes qu’elles soient pour une certaine production se réclamant de la psychologie évolutionniste, ne disqualifient pas cette discipline dans son ensemble. En clair, il est possible que les critiques s’adressent à la caricature d’une branche scientifique, non à cette branche scientifique elle-même. Si d’aventure, un lecteur sait me conseiller un ouvrage qui réponde à ces critiques – en particulier, à la plus fondamentale d’entre elles : le caractère arbitraire du choix des traits naturels par rapport aux traits culturels – je me ferai un devoir de le lire et, éventuellement, de réviser tout ou partie de mon jugement.

25 commentaires:

  1. Je confirme votre dernier paragraphe, ce livre ressemble vraiment à la critique superficielle d'une caricature.
    Personne ne dit que les comportements sont génétiquement déterminés. Les gènes définissent un ensemble de contraintes au sein desquelles de multiples variations culturelles peuvent évoluer. S'il n'existait aucune contrainte génétique, on devrait observer une bien plus grande diversité culturelle. Pourquoi n'existe-t-il aucune culture dans laquelle on tue ses propres enfants pour élever ceux des autres non apparentés? Aucune culture dans laquelle les hommes préfèrent les femmes âgées aux femmes jeunes (pubères)? Etc.

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    1. Jean-Marc Pétillon01 février, 2015 22:01

      Pour ce qui est de l'avant-dernière question ("Pourquoi n'existe-t-il aucune culture dans laquelle on tue ses propres enfants pour élever ceux des autres non apparentés?"), c'est simple : parce que ce n'est pas possible... Si, dans une société donnée, les parents tuaient systématiquement leurs propres enfants, il n'y aurait pas d' "enfants des autres" à élever, il n'y aurait plus d'enfants du tout, et cette société disparaîtrait avant d'avoir pu être observée :-) En revanche, comme l'ethnographie le montre, il y a de nombreuses sociétés où l'investissement parental est largement déconnecté de la parenté biologique, et il y a aussi des sociétés qui ont poussé la pratique de l'infanticide à des niveaux assez impressionnants...

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  2. Pour ce qui est du caractère soi-disant arbitraire du choix des traits naturels par rapport aux traits culturels, cet argument ne reflète que l'ignorance de l'auteure de la biologie.

    Ce choix n'est évidemment pas du tout arbitraire, il découle généralement d'observations qui ont été faites à travers de nombreuses espèces. Car la plupart des raisonnements tenus en psychologie évolutionniste pour l'humain sont les mêmes que ceux tenus en biologie évolutionniste pour les autres espèces. Ils découlent simplement de l'approche naturaliste de l'être humain, refusant de le traiter comme une exception "hors de la nature". Dans toutes ces analyses inter-espèces, l'humain n'est qu'un point dans la masse, qu'il n'y a pas lieu de singulariser.

    Pour donner un exemple, la quasi-totalité des arguments de psychologie évolutionniste sur les différences homme/femme découlent du même travail fait dans d'autres espèces. Et tout découle en gros de la théorie de l'investissement parental (différentiel entre H et F). Les références essentielles sont Bateman et Trivers. Lisez par exemple ce chapitre (qui date de 1972!):
    http://www1.appstate.edu/~kms/classes/psy2664/Documents/trivers.pdf
    Lisez aussi Sociobiology de Wilson. Lisez-le dans le texte (l'édition récente du 25 ème anniversaire est très bien), ne lisez pas les commentaires de commentaires de gens qui ne l'ont pas lu! Vous serez surpris.
    Il y a aussi des résumés modernes plus digestes et à jour, par Dawkins, Diamond, Buss et Pinker. Qui ceci dit en passant n'est pas un chercheur en psychologie évolutionniste mais un excellent vulgarisateur de ce domaine.

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  3. En effet ça semble être surtout une critique dû à une mauvaise compréhension (je ne m'y connais pas plus que vous) ; mais j'ai du mal à me dire que des gens puissent réellement penser que le génétique agit tout. Il s'agirait plutôt d'un facteur parmi d'autres qui accentue certaines tendances (un petit exemple simple : type d'odorat (déterminé aléatoirement) => pression sociale possible pour l'existence de douches, préférence pour certains parfum etc).
    Après il peut aussi s'agir, mais je m'avance doucement, de la même confusion qu'avec le contractualisme. Dans ce dernier il ne s'agit pas de penser les origines de l'humanité comme la formation d'un contrat sociale fait du jour au lendemain (reproche énoncé par Durkheim dans La division sociale du travail, p.179, éd puf, à l'encontre du contractualisme) mais de penser les conditions actuelles dans lesquelles la société peut être transformer, envisager, sous forme de contrat entre les individus en vue de le transformer. En somme, à se demander si c'est le génétique ou le sociale qui agit on tombe dans l'énigme de l'œuf ou la poule ?
    Vous avez l'air d'avoir envie de lire donc je ne résiste pas à vous conseiller La société des individus de Norbert Elias. C'est un monument, vous devez certainement le connaître. Dans le cas contraire, et bien au moins, j'aurais servi à quelque chose.

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  4. Romain Mozzanega01 février, 2015 03:06

    Bonjour Christophe, je tiens avant tout à dire combien vos travaux sont utiles dans un domaine (l’anthropolologie et plus indirectement l’archéologie) où malheureusement, en France, depuis quelques décennies, le champ est laissé presqu’entièrement libre aux spéculations sociobiologiques et libérales. De la riche tradition inspirée par l’approche marxiste, seul Maurice Godelier écrit encore dans le domaine de l’anthropologie. Ses derniers livres sont sérieux mais ils ont abandonné toute référence aux outils que la marxisme avait pu fournir à ses ouvrages plus anciens. C’est pourquoi vos "Conversations sur l’origine des inégalités" sont si précieuses. Elle réactive de façon intelligente et documentée l’impulsion donnée à la pédagogie militante exigeante par le grand Gordon V. Childe. (Et de ce seul point de vue, déjà, elle a plus que sa place à côté de l’œuvre de Piketty…)
    Je voudrais réagir ici plus spécifiquement aux remarques de Franck Ramus (dans le commentaire à votre note de lecture qu’on trouve un peu plus haut) qui vise le livre de Susan McKinnon : il s’agirait d’une « critique superficielle d’une caricature », rédigée par une auteure « ignorante de la biologie » et qui viendrait s’ajouter, visiblement, à la longue liste des « commentaires de commentaires de gens qui n’ont pas lu » Edward O. Wilson. Alors, la critique de la sociobiologie, une critique d’amateur déformant son objet ? Cette façon de défendre la sociobiologie est en réalité aussi vieille qu’elle. Car il faut savoir que l’accusation de déterminisme génétique, de réductionnisme ou encore de légitimation du statu quo a été lancée très tôt contre l’approche sociobiologique, aux Etats-Unis d’abord, et dès le début des années 70. Portée par le collectif « Science for the People » – et par sa revue – cette perspective critique est née de la prise de conscience du rôle nouveau joué par la science (une certaine science…) dans les processus de légitimation de la société capitaliste et dans l’alimentation de l’arsenal de guerre des pays impérialistes (lors de la guerre du Vietnam en particulier). Cette forte tradition critique, qu’on nomme aussi parfois « The radical science movement », est encore active de nos jours, en Angleterre et aux Etats-Unis surtout (mais peu en France, malheureusement). En voici quelques grandes étapes en termes de publication :

    - Hilary Rose and Steven Rose, "Science and Society", Pelican Book, 1969 ;
    - Hilary Rose and Steven Rose (editors), "The radicalisation of science. Ideology of/in the natural sciences", et "The political economy of Science", MacMillan Press, 1976 (trad. fran. partielle dans "L’Idéologie de/dans la science" au Seuil sous l’impulsion de Jean-Marc Lévy-Leblond) ;
    - The Ann Arbor Science for the People Collective, "Biology as a social weapon", Burgess, 1977 ;
    - Steven Rose and The Dialectics of Biology Group (editor), "Against biological determinism" et "Towards a liberatory biology", Allison and Busby, 1982 ;
    - Steven Rose, R. C. Lewontin, Leon J. Kamin, "Not in our genes. Biology, ideology and human nature", Pantheon books, 1984 (tra. fran. "Nous ne sommes pas programmés. Génétique, hérédité, idéologie", La découverte, 1985) ;
    - Richard Lewins and Richard Lewontin, "The dialectical biologist", Harvard U. P., 1985 ;
    - Steven Rose, "Lifelines. Life beyond the gene", Oxford U. P., 1997 ;
    - Richard C. Lewontin, "The triple helix. Gene, organism and environments", Harvard U. P., 2000 (trad. fran. "La triple hélice. Les gènes, l’organisme, l’environnement", Seuil, 2003) ;
    - Hilary Rose and Steven Rose (editors), "Alas poor Darwin. Arguments against evolutionary psychology", Vintage, 2001 ;
    - Richard Lewontin and Richard Lewins, "Biology under the influence. Dialectical essays on ecology, agriculture and health", Monthly review press, 2007

    (Suite au prochain post)

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  5. Romain Mozzanega01 février, 2015 03:09

    On peut ajouter à cette liste des articles épars de Stephen Jay Gould, le très bon livre de Marshall Sahlins, "The use and abuse of biology. An anthropological critique of sociobiology", 1976 (trad. fran. "Critique de la sociobiologie. Aspects anthropologiques", Gallimard, 1980), la critique décapante du philosophe des sciences Philip Kitcher, "Vaulting ambition. Sociobiology and the quest for human nature", MIT Press, 1985, et la synthèse toujours très utile du journaliste scientifique Pierre Thuiller, "Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir ? La sociobiologie en question", Complexe, 1981.
    Ce rappel bibliographique nous montre plusieurs choses.
    Premièrement, nous ne sommes pas démunis : il existe une forte tradition de critique de la sociobiologie et de son avatar contemporain la psychologie évolutionniste. Et une partie des auteurs qui s’en réclament disent employer des outils de réflexion marxistes (Steven Rose, Richard Lewontin) ou bien ont une certaine sympathie pour certaines problématiques marxistes (Stephen J. Gould).
    Deuxièment, on peut – et on a – contesté les critiques formulées dans ces ouvrages. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas le fait de touche à tout ou de dilettantes se piquant de juger la validité du travail d’un spécialiste. Les auteurs cités plus haut ont lu les œuvres qu’ils critiquent et certains l’ont fait à partir d’un point de vue interne au domaine questionné, c’est-à-dire qu’ils l’ont fait en tant que paléontologue (Gould), généticien des populations (Lewontin) ou encore spécialiste du cerveau (S. Rose). Ces auteurs sont des autorités reconnues dans leur domaine et étaient jusqu’à peu encore des chercheurs actifs. Pour le dire autrement, ils avaient les uns et les autres une certaine « connaissance » de la « biologie »…
    Troisièmement, le combat de ces auteurs contre ce qu’ils considèrent être une mauvaise façon de faire de la science est un combat qui nécessite une vigilance permamente. Les feux du déterminisme et du réductionnisme se rallument sans cesse, depuis que la génétique et la biologie moléculaire font figure de graal explicatif dans l’étude du vivant et de son évolution. La psychologie évolutionniste (dont les prétentions sont âprement réfutées dans le livre collectif "Alas poor Darwin", cité plus haut) n’est que l’avatar contemporain de la vieille sociobiologie, qui n’ose plus tellement dire son nom depuis les critiques radicales des années 70 et 80. Nous en avons connu en France un écho populaire avec la série « Un gars, une fille » (avec Jean Dujardin et Alexandra Lamy), cette version moderne et urbaine du couple Tarzan et Jane, et avec des livres comme "Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus", ou "Pourquoi les hommes mentent et les femmes ne savent pas lire une carte routière", qui participent de la même veine.

    (Suite au prochain post)

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  6. Romain Mozzanega01 février, 2015 03:10

    Enfin, quelques mots à propos des protestations et des dénégations des tenants du sociobiologisme. Dès les premières heures de la critique radicale de la sociobiologie, ses représentants ont crié à l’injustice : non, ils n’avaient pas écrit ni dit ce qu’on leur reprochait d’avoir écrit ou dit ! Cette technique de défense est en réalité un des effets de la critique : elle témoigne de sa légitimité politique. Au sens où, même dans l’Amérique des années 80, il était difficile pour un « scientifique » d’Harvard de porter haut et fort, de façon pleinement assumée, des thèses pouvant être associées à une conception affirmant que « la biologie est la clé de la nature humaine » (E. O. Wilson, "On Human Nature", Harvard U. P., 1978, p. 13) et qu’en conséquence « un unique et solide fil relie la conduite des colonies de termites et des troupeaux de dindons au comportement social de l’homme » (E. O. Wilson, "Sociobiology", Harvard U. P., p. 129). Et de fait, quand on lit les ouvrages de Wilson, on rencontre tout et son contraire : des affirmations génétiquement déterministes et d’autres qui se défendent de l’être, des phrases au conditionnel … qui passent subrepticement à l’indicatif deux paragraphes plus bas, etc. Pour que le lecteur de ce site puisse se faire un début d’idée (avant, s’il juge que cela en vaut la peine, d’aller lire les ouvrages discutés), je fais figurer dans un prochain post un petit florilège du déterminisme génétique spontané de quelques savants sociobiologistes.

    (Suite au prochain post)

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  7. Romain Mozzanega01 février, 2015 03:15

    DAWKINS :

    « Nous sommes des machines destinées à assurer la survie des gènes, des robots programmés de façon aveugle pour transporter et préserver les molécules égoïstes appelées gènes » (We are survival machines-robot vehicles blindly programmed to preserve the selfish molecules known as genes » (préface de l’édition de 1976 de « Le gène égoïste », trad. fra. : Mengès, Paris, 1978, p. 11 )


    E. O. WILSON :

    « Dans une société de chasseurs, les hommes chassent et les femmes restent à la maison. Cette tendance marquée subsiste dans la plupart des sociétés agricoles et industrielles et, en se fondant sur ce seul fait, on peut croire qu’elle est d’origine génétique (…) Mon hypothèse est que cette tendance génétique est assez forte pour être à la source d’une division du travail très marquée, même parmi les sociétés futures qui seront les plus libres et les plus égalitaires (…) Même avec une éducation identique et un accès égal à toutes les professions, les hommes vont probablement continuer à jouer un rôle majeur dans la vie politique, dans le commerce et dans la science » (In hunter-gatherer societies, men hunt and women stay at home. This strong bias persists in most agricultural and industrial societies and, on that ground alone, appears to have a genetic origin (…) My own guess is that the genetic bias in intense enough to cause a substantial division of labor even in the most free and most egalitarian of future societies (…) , even with identical éducation and equal access to all professions, mens are likely to continue to play a disproportionate rôle in political life, business and science) (« Human Decency is Animal », New York Times Magazine, October 12, 1975, pp. 38-50)


    « La biologie est la clé de la nature humaine » (Biology is the key to human nature) (« On Human Nature », Harvard U. P., 1978, p. 13 ; trad.. fra. « L’Humaine nature. Essai de sociobiologie », Stock, 1979, p. 43)

    « Avec le temps, beaucoup de connaissances concernant le fondement génétique du comportement social s’accumuleront ; et peut-être disposera-t-on de techniques permettant de modifier les complexes de gènes grâce à l’ingénierie moléculaire et à la sélection rapide par clonage (…) De nouveaux types de rapports sociaux pourraient alors être mis en place petit à petit. On pourrait être en mesure d’imiter génétiquement la famille nucléaire presque parfaite du gibbon à mains blanches ou les harmonieuses communautés d’abeilles » (Human genetics is now growing quickly along with all other branches of science. In time, much knowledge concerning the genetic fondation of social behavior will accumulate, and techniques may become available for altering gene complexes by molecular engineering and rapid sélection through cloning … New patterns of sociality could be installed in bits and pièces. It might be possible to imitate genetically the more nearly perfect nuclear family of the white-handed gibbon or the harmonious sisterhoods of honeybees. )(« On Human Nature », p. 208 ; trad.. fra. « L’Humaine nature. Essai de sociobiologie », Stock, 1979, p. 214)

    (Suite au prochain post)

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  8. Romain Mozzanega01 février, 2015 03:16

    Florilège (suite) :

    WILSON :

    « Oui, nous avons une prédisposition à être xénophobes, à être chauvins, à nous identifier avec un groupe de type familial qui occupe un territoire particulier. Tout cela est très simple et clair ; il ne saurait en résulter de dommages à moins que cette xénophobie n’exacerbe des sentiments nationalistes, raciaux ou ethniques, qui peuvent alors devenir meurtriers » (Yes, we have a predisposition to be xenophobic, to be chauvinistic, to identify with a familylike group that occupies a particular territory. This is all quite naked and open, and it’s not harmful unless it exacerbates nationalistic feelings or racial or ethnic feelings, which can then become deadly.) (Interview de Wilson dans « Omni », february 1979, p. 99)


    « La société parfaite, c’est-à-dire débarrassée de tout conflit et mue par un total altruisme et une totale coopération, n’est possible que si tous les membres de cette société sont génétiquement identiques » (The perfect society, one wich lacks conflict and which acts with complete altruism and coopération, is possible only when all people are genetically identical » (« People Magazine », november 1975)


    « un unique et solide fil relie la conduite des colonies de termites et des troupeaux de dindons au comportement social de l’homme » (« Sociobiology », p. 129)

    « I am suggesting a modification of scientific humanism through the recognition that the mental processes of religious belief – consecration of personal and group identity, attention to charismmatic leaders, mythopoeism, and others – represent programmed predispositions whose self-sufficient components were incorporated into the neural apparatus of the brain by thousands of generations of
    genetic evolution. As such they are powerful, ineradicable, and at the center of human existence. » (« On Human natur »e, p. 206-207)

    « Now there is reason to entertain the view that the culture of each society travels along one or the other of a set of evolutionary trajectories whose full array is constrained by the genetic rules of human nature. While broadly scattered from an anthropocentric point of view, this array still represents only a tiny subset of all the trajectories that would be possible in the absence of the genetic constraints » (« On Human nature », p. 207).



    TRIVERS, DE VORE, E. O. WILSON :

    « It’s time we started viewing ourselves as having biological, genetic and natural components to our behavior. And that we should start setting up a physical and social world wich matches thoses tendencies » (dans la brochure présentant le film « Sociobiology : Doing What Comes Naturally », où les trois auteurs évoquent aussi « the male’s natural physical freedom and the female’s more vulnérable childbearing nature »…)

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  9. Je remarque qu'il n'y a aucun argument de fond ci-dessus.
    Le "florilège" ne peut convaincre que les biolophobes. Appeler ça un florilège ne remplace pas l'analyse de chaque affirmation à la lueur de données disponibles.
    J'ai lu Gould, Lewontin et Rose. Le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont pas convaincants, et que leur raisonnement est plus guidé par l'idéologie que par les données. Steven Pinker en a fait une excellente analyse et y a bien répondu dans The blank slate.

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    1. Romain Mozzanega02 février, 2015 00:16

      Vous faites erreur, il y a deux arguments là où vous n’en voyez aucun :
      Le premier, c’est qu’il est faux de laisser entendre que la critique de la psychologie évolutionniste (ou de son ancêtre la sociobiologie) est une critique ignorante de la science biologique, n’ayant pas pris connaissance de l’objet qu’elle critique et inspirée par une volonté de le caricaturer. Avez-vous répondu à cet argument ? Certainement pas, à mon avis, en laissant entendre qu’il flatte de supposés « biolophobes » ( ?)….
      Le second, c’est que contrairement à ce que Wilson prétend et à ce que vous dites vous-mêmes pour le défendre des critiques de MacKinnon (« Personne ne dit que les comportements sont génétiquement déterminés », dans votre premier post), l’approche sociobiologique conduit bien à affirmer que les comportments humains sont déterminés par l’héritage génétique du pléistocène. C’est la seule fonction des textes que j’ai alignés. Là encore, je ne vois pas de votre part l’ombre d’une réponse.
      Enfin, à propos de « Gould, Lewontin et Rose », vous avez le droit de ne pas les trouver convaincants, mais que voulez-vous dire quand vous affirmez que « leur raisonnement est plus guidé par l’idéologie que par les données » ? Appelez-vous « idéologie » le fait d’affirmer qu’une certaine façon d’expliquer le comportement humain est réductionniste parce qu’elle ne se situe pas au bon niveau, et que cette méthode a des effets politiques de naturalisation et de légitimation des inégalités sociales et de genre ? Et « donnée », le fait d’affirmer par exemple que « nous avons une prédestination à être xénophobe » sur la seule foi d’une reconstruction hypothétique des faits qui auraient présidé au câblage du cerveau humain il y a près de 200 000 ans ?

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    2. Où avez lu que "les comportments humains sont déterminés par l’héritage génétique du pléistocène"? Quelle source précise?
      Moi je n'ai rien lu de tel dans les citations que vous avez collées. J'y ai lu les mots prédisposition, contrainte, tendance, composante... Rien qui ne suggère un déterminisme, au contraire tous ces mots laissent la porte ouverte à d'autres influences.
      Il est d'ailleurs significatif que dans votre commentaire ci-dessus vous paraphrasiez "prédisposition" en "prédestination". Entre le mot écrit et celui que vous avez cru lire, il y a une différence de taille!
      La première chose qui est due à Wilson, Trivers, Dawkins et autres, c'est de ne pas leur faire dire ce qu'ils ne disent pas. C'est juste une question d'honnêteté.

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    3. La deuxième chose qui leur est due, c'est de ne pas leur attribuer des intentions qu'ils n'ont pas. Que ce soit le sobriquet "néolibéral" de McKinnon ou votre affirmation selon laquelle ils défendent le status quo, là encore il vaut mieux se taire que d'attribuer à ces auteurs des intentions ou des opinions politiques qu'ils n'ont pas affichées et que vous seriez bien en peine de citer.
      Qu'il y ait des gens qui utilisent les données de la génétique pour défendre le status quo, pour s'opposer à toute politique de réduction des inégalités, bien sûr. Par exemple Hernstein & Murray. Mais pas Wilson, Trivers et Dawkins.
      De fait,

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    4. Troisièmement, vous (et McKinnon) semblez commettre le sophisme suivant:
      - les résultats de la sociobiologie et de la génétique semblent impliquer des politiques inégalitaires, néolibérales, etc.
      - je ne veux pas de ces politiques
      - donc il est important de nier les résultats de la sociobiologie et de la génétique, ils sont forcément faux, ou en tous cas à force de les nier ils finiront bien par l'être.
      Il me semble que cela revient simplement à prendre ses désirs pour des réalités.

      Les sociobiologistes et les gens qui s'appuient sur les données issues de la biologie ont une attitude plus raisonnable. Ils disent en substance: L'humanité n'est pas exactement telle que nous rêverions qu'elle soit. Ne nous voilons pas la face pour autant. Nous aurons plus de chances de résoudre les problèmes de l'humanité, et en l'occurrence de réduire les inégalités, en se fondant sur la meilleure connaissance objective possible de l'être humain qu'en se racontant des histoires merveilleuses.

      Car finalement la légitimation des inégalités n'est pas du tout la seule implication possible de cette connaissance. Selon les valeurs que l'on a, on peut arriver aux conclusions opposées: il y aura certes toujours des inégalités de prédispositions dues aux facteurs génétiques et autres facteurs biologiques précoces, et on pourra difficilement les modifier. Mais une prédisposition n'est pas une prédestination (ne vous en déplaise!), et d'autres facteurs entrent aussi en jeu. A défaut de pouvoir changer les facteurs biologiques précoces, on peut tenter de modifier l'environnement des individus dans le but de réduire autant que possible les inégalités. Ce qui peut conduire à préconiser toutes les politiques sociales qui vous sont chères.

      D'ailleurs si l'on prend un peu de recul c'est exactement ce que l'on peut observer, dans le cas d'un nombre croissant de troubles affectant le fonctionnement cognitif: déficiences intellectuelles, autisme, etc. On n'a jamais aussi bien compris les bases génétiques et biologiques précoces de ces troubles. Et simultanément, cette connaissance n'a pas conduit à les discriminer massivement, au contraire, on ne s'est jamais aussi bien occupé des personnes concernées, on a imaginé des programmes d'éducation et d'intervention qui permettent de compenser autant que faire se peut (et encore trop modestement) leurs prédispositions. Heureusement que les chercheurs et médecins qui ont accompli cela ne se sont pas laissé embobiner par Gould et Lewontin !

      Ceci pour dire que la connaissance scientifique ne contient pas en elle-même d'implications politiques. Ce sont les humains qui ont des opinions politiques, et qui instrumentalisent parfois les connaissances scientifiques dans le sens qui les arrange. J'ai également illustré ce point à propos des facteurs biologiques sous-tendant l'orientation sexuelle:
      http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2350

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    5. Romain Mozzanega03 février, 2015 01:10

      Merci pour les leçons d’honnêteté que vous jugez bon de me servir. Il est vrai que j’ai écrit un mot à la place d’un autre – ce qui peut d’ailleurs à juste titre être interprété comme un lapsus révélant mes obsessions cachées. Mais enfin au moins ai-je cité abondamment les textes de Wilson, en traduction française et en anglais, ce qui laissait à chacun la possibilité de se faire une première idée – imparfaite, j’en conviens – sur ce que cet auteur a pu dire ou écrire. De votre côté, vous semblez moins embarrassé par les règles élémentaires de la discussion argumentée, quand vous attribuez à Gould et Lewontin la volonté d’« embobiner » leurs lecteurs, sans même faire allusion à une seule ligne de leurs ouvrages – une façon assez courante de « faire dire à un auteur ce qu’il ne dit pas » et de « lui attribuer des intentions qu’il n’a pas », non ?

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    6. Sur l'honnêteté douteuse de Gould et sa préférence pour l'idéologie sur les données, voici quelques éléments:
      http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1001071
      et un commentaire par Trivers lui-même:
      https://www.psychologytoday.com/blog/the-folly-fools/201210/fraud-in-the-imputation-fraud

      Sur la nature et la validité des arguments déployés dans le débat sur la sociobiologie, il n'y a pas de meilleure référence que Pinker The blank slate, je ne peux ni le reproduire ici ni faire mieux.

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    7. Si l'on laisse de côté la querelle sur Gould et Lewontin, j'en conclus donc que nous sommes d'accord sur le fond, et qu'en fait aucun des principaux tenants de la sociobiologie et du néodarwinisme ne soutient l'idée d'un déterminisme génétique des comportements humains?

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    8. Romain Mozzanega03 février, 2015 10:33

      Ma réponse comportait en réalité trois autres "volants" ( à cause du nombre de caractères maximum par post) mais mes manips n'ont pas dû fonctionner. Je les poste à nouveau.

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    9. Romain Mozzanega03 février, 2015 10:34

      À propos de la critique principale que Rose, Gould et Lewontin adressent à E. O. Wilson, vous dites que dans les textes de cet auteur que j’ai cités « rien ne suggère un déterminisme ». Nous voilà au centre de la question. Et pour commencer vous avez bien raison : ces textes sont remplis de termes comme « prédisposition », « contrainte », « tendance ». Mais quand je dis que pour la sociobiologie et la psychologie évolutive « les comportements humains sont déterminés par l’héritage génétique du pléistocène », je ne suis pas en train de dire que ces disciplines se targuent de prévoir à quelle heure je vais avaler ma prochaine bière… Ce qu’elles affirment, en revanche, c’est que nous sommes devenus humains dans un environnement bien déterminé, l’« Environnement de l’Évolution Adaptative » (EEA), comme le rappelle C. Darmangeat au début de sa note de lecture, et qu’au cours de cette période du Pléistocène (en gros de 500 000 à 100 000 ans avant le présent) des aspects universels cruciaux de la nature humaine (des formes de comportement et de pensée) adaptés à la vie sociale et aux pressions environnementales d’alors, ont été fixé génétiquement via le mécanisme de la sélection naturelle. C’est cette base – qu’on peut juger tout de même extrêmement fragile en terme de « données » – qui permet à des auteurs comme Wilson, Pinker, Dawkins ou Leda Comsides et John Tooby d’affirmer que l’architecture de notre esprit, et les formes de nos organisations sociales, doivent être considérées comme des adaptations sculptées par la sélection naturelle pour assurer la réplication optimale des gènes des individus et de leurs proches parents génétiques (augmentation de leur fitness inclusive). On trouve ainsi l’idée, chez certains auteurs récents, que des mécanismes génétiques stabilisés par la sélection naturelle sont à la base de nos prédispositions à détester les épinards, à apprécier les paysages verts en peinture – quand ce n’est pas tout simplement à pratiquer le viol (Thornhill et Palmer, A natural history of rape : Biological bases of sexual coercion, Mit Press, 2000).
      C’est parce que la « nature humaine » ainsi conçue est fixée par les gènes que les « tendances » qui s’expriment en elle vont rendre possibles ou non certaines formations sociales, certains rapports sociaux. Bien sûr, il est toujours possible de contrarier ces tendances, de les contrecarrer ou d’adoucir leurs effets (ce qui permet à nos auteurs de rejeter le reproche de déterminisme), mais il faut savoir que l’on ne va pas contre ce qu’exige la nature sans en payer les frais. C’est ce que fait bien apparaître une analogie utilisée par Lewontin, Rose et Kamin :

      « Il y a, dans la sociobiologie, une conception de l’action des gènes bien particulière : selon cette conception, les gènes permettent que l’on établisse, si on le désire, des formes d’organisation sociale différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui, mais au prix de durs efforts et de beaucoup de souffrance psychologique. Pour prendre une comparaison, on peut, s’il on veut, marcher sur ses genoux : c’est physiquement possible, mais c’est extrêmement épuisant et douloureux en raison de contraintes anatomiques. Certaines organisations de la société sont plus “naturelles” et donc plus commodes et plus stables. Les autres formes d’organisation réclament pour se maintenir une dépense constante d’énergie. Le bonheur consiste à faire ce qui nous est naturel. C’est le sens de l’affirmation (de Wilson, dans “La Sociobiologie”, p. 580) selon laquelle “certains comportements pourront être changés sans que cela entraîne, dans le vécu, de trouble émotionnel ou de perte de créativité. D’autres ne le pourront pas.” » (“Nous ne sommes pas programmés. Génétique, hérédité, idéologie”, p. 318).

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  10. Romain Mozzanega03 février, 2015 10:36

    Voici trois exemples de la façon dont les tendances biologiques (et ultimement génétiques) sont des contraintes qui DÉTERMINENT pour les sociobiologistes ce qui est possible ou pas au niveau du COMPORTEMENT et de l’ORGANISATION SOCIALE :

    1) Une « tendance » semble interdire aux femmes de jouer un rôle semblable à celui des hommes dans les domaines politiques, professionnels et scientifiques (je rappelle ici un texte cité plus haut et que vous n’avez jamais pris la peine de commenter) :

    « Dans une société de chasseurs, les hommes chassent et les femmes restent à la maison. Cette tendance marquée subsiste dans la plupart des sociétés agricoles et industrielles et, en se fondant sur ce seul fait, on peut croire qu’elle est d’origine génétique (…) Mon hypothèse est que cette tendance génétique est assez forte pour être à la source d’une division du travail très marquée, même parmi les sociétés futures qui seront les plus libres et les plus égalitaires (…) Même avec une éducation identique et un accès égal à toutes les professions, les hommes vont probablement continuer à jouer un rôle majeur dans la vie politique, dans le commerce et dans la science » (« Human Decency is Animal », New York Times Magazine, October 12, 1975, pp. 38-50)

    2) Une autre « tendance », ancrée dans ce que Wilson décrit comme des « gènes de conformité » (conformer genes !) semble cette fois interdire aux hommes et aux femmes, en moyenne, de se libérer d’une crédulité naturelle face aux chefs ou aux leaders :

    « Ceci nous mène à la question essentiellement biologique de l’évolution de l’« endoctrinabilité » (Campbell, 1972). Il est absurdement aisé d’endoctriner des êtres humains – ils ne demandent que ça. » (La sociobiologie, p. 555)

    Ainsi ce n’est pas simplement que la « nature humaine » permet qu’on soit endoctrinable, c’est qu’elle nous y pousse !


    3) Une nouvelle « tendance » pousse la plupart des individus à se livrer à toutes sortes de violences et d’exactions dès que la force et la surveillance font défaut, si bien qu’il semble bien « naïf » d’imaginer, comme l’ont fait les anarchistes – et autres révolutionnaires – qu’une société puisse être organisée sans appareil policier d’État. On doit ce dernier argument à une expérience touchante, celle du jeune Steven Pinker perdant ses illusions d’anar romantique lors d’une grève de la police à Montréal (ça ne s’invente pas…) :

    « Jeune adolescent en plein romantisme des années 60, je croyais sincèrement à l’anarchisme de Bakounine. Je ne prenais pas mes parents au sérieux quand ils disaient que si le gouvernement déposait les armes, ce serait une pagaille monstre. Nous avons eu l’occasion de vérifier nos prédictions respectives et contradictoires le 17 octobre 1969 à 8 heures du matin, quand la police de Montréal s’est mise en grève. À 11 h 20, première attaque de banque. À midi, la plupart des magasins de centre-ville avaient fermé à cause des pillages. Quelques heures plus tard, des chauffeurs de taxi avaient mis le feu au garage d’un service de limousines qui leur disputait les clients de l’aéroport, un tireur isolé avait abattu un officier de la police provinciale, des émeutiers avaient fait irruption dans plusieurs hôtels et restaurants, et un médecins avait abattu un cambrioleur dans sa maison de banlieue. Au total à la fin de la journée, six banques dévalisées, une centaine de magasins pillés, douze feux allumés et trois millions de dollars de dégâts sur des biens personnels, jusqu’au moment où les autorités de la ville ont dû faire appel à l’armée, et bien sûr à la police montée pour rétablir l’ordre. Ce test empirique décisif a fait voler en éclats mes opinions politiques »

    La vanité du projet politique de l’anarchisme démontrée scientifiquement à l’aide d’une grève de la police à Montréal ! C’est ce genre de naïvetés politiques que l’on trouve dans “The blanke slate” (p. 331), un ouvrage où vous dites avoir trouvé une « excellente analyse » de l’idéologie de Gould et Lewontin. Gageons que ce n’était pas à cet endroit du livre…

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  11. Romain Mozzanega03 février, 2015 10:38

    Comme ces trois exemples l’auront suffisamment montré, ce n’est pas la critique du sociobiologisme qui a introduit la politique dans son objet ; elle s’y trouvait déjà, et sous la pire des formes, c’est-à-dire comme une NATURALISATION de rapports sociaux qui doivent leur permanence ou leur fréquence moins à d’hypothétiques câblages neuronaux qu’à des forces sociales, économiques et historiques curieusement absentes de TOUTES les analyses « scientifiques » menées par Wilson, Dawkins, et consorts. C’est d’ailleurs cette absence de réflexion sur le contexte social et politique dans lequel naissent les problématiques et les catégories de la recherche scientifique qui fait de votre réflexion sur la science une proie si facile de l’idéologie, justement : cette vision du monde où les faits, ce que vous appelez, avec un air de magie, les “données”, semblent parler d’eux-mêmes. Puis-je alors tenter un conseil de lecture (qui vaut bien, vous en conviendrez, votre rappel à l’honnêteté !) ? Lisez le livre formidable de Steven Rose, “La mémoire. Des molécules à l’esprit” (traduit au Seuil en 1994) où l’auteur « essaie de situer [sa] pratique de laboratoire dans ce cadre plus riche et plus complexe dont la philosophie, la sociologie et la politique de la science actuelles ont récemment montré qu’il façonnait l’élaboration des théories scientifiques et des programmes d’expérimentation » (p. 7).

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  12. Pour illustrer ce que je disais, voici un exemple de ce que Richard Dawkins pense vraiment du déterminisme génétique:

    People seem to have little difficulty in accepting the modifiability of "environmental" effects on human development. If a child has had bad teaching in mathematics, it is accepted that the resulting deficiency can be remedied by extra good teaching the following year. But any suggestion that the child's mathematical deficiency might have a genetic origin is likely to be greeted with something approaching despair: if it is in the genes "it is written", it is "determined" and nothing can be done about it: you might as well give up attempting to teach the child mathematics. This is pernicious rubbish on an almost astrological scale ..... What did genes do to deserve their sinister juggernaut-like reputation? Why do we not make a similar bogey out of, say, nursery education or confirmation classes? Why are genes thought to be so much more fixed and inescapable in their effects than television, nuns, or books?

    Richard Dawkins (1982) The extended phenotype, Oxford University Press (p. 13)

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  13. "une NATURALISATION de rapports sociaux qui doivent leur permanence ou leur fréquence moins à d’hypothétiques câblages neuronaux qu’à des forces sociales, économiques et historiques"

    Ici vous présupposez ce qu'il vous faudrait démontrer.
    Il est de toute façon fallacieux de vouloir opposer forces sociales et mécanismes biologiques. Car qui produit ces forces sociales, économiques et historiques, sinon l'homme à l'aide de son cerveau? Peut-on encore croire que les "forces sociales, économiques et historiques" sont des choses qui flottent dans l'air indépendamment des organismes que nous sommes?

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    1. Il ne faut certes pas opposer catégoriquement constructions sociales et biologie. Comme toutes les oppositions classiques héritées de la philosophie (inné acquis, individu société, mental physique, etc...) celle-ci a été relativisée par un siècle de sciences. Mais cette opposition reste valable en tant que continuum : les deux sont liées, mais les phénomènes sociaux ne sont pas réductibles à la biologie.

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  14. Relier biologie et comportements, c'est faire fit de la théorie de l'émergence. C'est à dire de l'apparition de nouvelles propriétés (lois) propre à un nouveau système né d'un système sous-jacent. Avec cette négation de l'émergence on pourrait faire de l'astro-physio-sociologie et dire que la violence est cause du big-bang qui par nature est violent. C'est une erreur courante aujourd'hui, mais surtout un piège dangereux pour la science, et qui la mène à ne plus être que du scientisme, de faire des liens de causalités là où il n'y a que des coïncidences. Il faut croire d’abord au hasard pour être certain de découvrir les liens de causalités s'il en existe. Il n'y a pas plus mauvais enquêteur (sauf au cinéma) que celui qui ne crois pas au hasard car il élimine de facto toutes les autres causalités que celle que la coïncidence lui fait prendre pour évidente.

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