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Chassez le naturalisme, il revient au galop (un texte d'Emmanuel Guy)

Emmanuel Guy propose ici de prolonger la discussion autour de son livre et, plus généralement, des questions autour de la naissance des inégalités de richesse, qui s'est notamment tenue dans la revue L'Homme, dans ses numéros 227-228 (2018) et 234-235 (2020). Je lui donne d'autant plus volontiers la parole sur ce blog que malgré les désaccords que je peux avoir avec sa thèse, celle-ci soulève des questions cruciales et que plusieurs de ses arguments touchent juste. Je compte d'ailleurs bien revenir sur tout cela dans les prochaines semaines. En attendant, place à l'auteur de Ce que l'art préhistorique dit de nos origines !
Cheval peint, grotte de Lascaux (diverticule axial) © N. Aujoulat.
Pour plus de clarté, je rappelle en deux mots la thèse de mon livre à l’origine de la discussion. Le naturalisme artistique (ou réalisme pour faire simple) qui caractérise la production figurative du Paléolithique récent m’incite à y voir un signe de prestige et, à travers lui, l’existence probable de sociétés déjà hiérarchisées. On attribue habituellement la paternité des inégalités socio-économiques aux sociétés agricoles mais l’ethnologie rapporte des cas chez les chasseurs-cueilleurs. Pour Alain Testart, l’existence de sociétés inégalitaires de chasseurs-cueilleurs est à mettre sur le compte du stockage des ressources à grande échelle (Testart, 1982). Cette pratique est déterminée par la disponibilité des ressources saisonnières. La nécessité de surmonter la pénurie hivernale pousserait les groupes humains qui en ont l’opportunité à stocker des ressources. La production d’excédents alimentaires conduirait alors à leur inévitable privatisation et à l’émergence d’une élite.
Un cas parmi les mieux documentés de sociétés inégalitaires de chasseurs-cueilleurs stockeurs est celui des indiens de la côte Nord-Ouest de l’Amérique. Ces derniers occupaient une longe bande littorale allant du sud de l’Alaska au nord de la Californie. L’économie de ces peuples reposait sur la pêche et la conservation du saumon capturé dans des quantités phénoménales chaque été au moment du frai. Ces sociétés étaient dominées par une aristocratie héréditaire qui contrôlait l’essentiel des ressources. Les gens du commun ne disposaient quant à eux d’aucun privilège socio-économique tandis qu’au plus bas de l’échelle sociale des prisonniers de guerre réduits à l’esclavage étaient la propriété exclusive des familles riches. Sur la foi de l’existence de chasseurs-cueilleurs inégalitaires, je me suis efforcé dans mon livre de vérifier si sur le plan archéologique de telles sociétés auraient pu se développer en Europe au cours du Pléistocène et éventuellement laisser quelques traces de leur passage.
Dès sa première contribution et plus encore dans sa récente réponse, la critique de Charles Stépanoff porte essentiellement sur la validité de la théorie proposée par Alain Testart. S’il estime qu’une économie à stockage au Paléolithique récent est probable, il conteste en revanche les conséquences de ce mode de subsistance soit l’apparition d’inégalités socio-économiques (Stépanoff, 2018). Pour preuve, les données recueillies chez les pêcheurs sédentaires de l’Extrême-Orient sibérien : Itelmen de la péninsule du Kamtchatka ou Nivkh (anciennement Gilyak) du nord de Sakhaline et de l’embouchure du fleuve Amour. Dans ces sociétés, on produit effectivement de la richesse grâce au stockage du poisson mais on ne la possède pas individuellement ou très peu. De fait, il n’existe aucun privilège individuel, aucun droit personnel sur les zones de pêche et de chasse. La prospérité des individus riches est perçue comme le fruit de leur labeur et ne donne droit à aucune autorité ni domination particulière. S’accaparer des biens ou revendiquer des privilèges est contraire à la morale Nivkh et ne peut susciter que réprobation et mépris. Une situation à l’inverse de celle observée sur la côte opposée du Pacifique nord.
Pour Ch. Stépanoff, ce contre-exemple montre que la théorie d’A. Testart est fausse ou partiellement exacte et qu’il n’y a pas de rapport de causalité obligé entre surplus alimentaire et développement d’inégalités socio-économiques :
La critique que j’expose dans Les hommes préhistoriques n’ont jamais été modernes (2018) consiste à remettre en cause le caractère mécanique des effets du mode de subsistance sur la distribution des richesses et sur l’organisation sociale d’une société. (Stépanoff, 2020 p. 269)
Ce qui signifie que si le modèle de Testart est inexact, on ne saurait l’appliquer au Paléolithique. Quand bien même, le stockage y serait avéré, il ne prouverait en rien l’existence d’une quelconque hiérarchie sociale à cette époque. La contribution de Rémi Haddad vient à l’appui de ce constat en faisant appel à des sources différentes, celles des cultures pré-néolithiques du Levant à l’instar des chasseurs-cueilleurs natoufiens. L’auteur rappelle que si la période voit se développer les premiers villages, le stockage n’y est pas clairement démontré (pas plus d’ailleurs que les inégalités socio-économiques). La même région du croissant fertile à une époque à peine plus récente donnerait bien des exemples d’économie à stockage mais qui en condition désertique répondrait à des besoins purement pratiques et ne s’accompagnerait pas d’une accumulation de richesse individuelle.

Un débat détourné

J’ai eu précédemment l’occasion d’exprimer mes réserves sur la description que Ch. Stépanoff fait de l’organisation sociale des pêcheurs sédentaires de l’Extrême-Orient sibérien (Guy, 2020). Je n’y reviens pas sauf pour signaler que celles-ci sont encore accentuées par la récente déclaration de l’auteur qui, dans sa réponse, dit s’appuyer :
(...) sur des sources primaires, en particulier sur les travaux de Lev Shternberg que les chercheurs occidentaux, dont Testart, ne connaissaient, jusqu’à la publication par Bruce Grant en 1991 de The Social Organisation of the Gilyak, que par des résumés, comme ceux de Friedrich Engels, de Claude Lévi-Strauss, lequel put consulter la traduction de cette étude à l’American Museum of Natural History, ou celui de Lydia Black (1973). (Stépanoff, 2020, p. 271).
Il n’est pas inutile de préciser que Lev Shternberg est un militant révolutionnaire qui deviendra l’un des plus éminents représentants de l’ethnologie soviétique. Exilé à partir de 1889 dans le tristement célèbre bagne de Sakhaline décrit par Anton Tchekhov puis transféré dans une zone isolée de l’ouest de l’île pour cause d’activisme politique auprès des forçats c’est là qu’il côtoie les Nivkhs. Il s’engage alors avec ferveur dans des recherches ethnographiques soucieux de retrouver chez ces populations autochtones le communisme originel des sociétés primitives décrit par Morgan quelques années plus tôt et évidemment salué par Marx et Engels. Le même Engels se félicitera de la publication du premier rapport sur l’organisation sociale des Nivkh de Shternberg au point de le faire traduire en allemand.
Les orientations idéologiques de Shternberg expliquent son prosélytisme égalitariste décrit par de nombreux chercheurs :
[…] il n'avait pa tourné le dos aux idéaux de sa jeunesse. Au sein des peuples qu'il étudiait, et plus tard entouré d'étudiants, il continuait à répandre les idées d'égalité et de fraternité, de progrès et de justice sociale. Les peuples ‘primitifs’, leur structure sociale et leurs croyances devinrent un ‘modèle’ pour illustrer les idées de progrès et l'unité du développement culturel de l'humanité. (Sirina, Roon, 2018, p. 216).
Shternberg ne fit pas que collecter des données sur les peuples indigènes, mais il propagea les idées d'une organisation sociale meilleure, d'égalité et de fraternité. (Ibid., p. 235).
Un constat partagé par Sergei Kan, auteur d’une biographie de Shternberg :
Le texte de Shternberg avait tendance à exagérer l'égalitarisme et à sous-estimer l'inégalité économique et politique. Il semble toutefois avoir affirmé à bon droit que dans une société telle que les Gilyak, les riches leaders avaient l'obligation de venir en aide aux parents de leur clan moins fortunés, et que la solidarité de clan contrecarrait ainsi les tendances hiérarchiques. (Kan, 2001, p. 225).
De quoi, me semble-t-il, susciter une certaine méfiance quant à la validité de cette source pour juger de la nature réelle des relations sociales des pêcheurs sédentaires du sud-est sibérien. Il faut aussi rappeler que tous ces peuples ont été depuis le Moyen-Âge et sans doute bien avant déjà sous l’influence constante et dominatrice des empires voisins chinois, russes et japonais. Ces relations marquées par d’intenses échanges commerciaux mais aussi par des périodes de conflit et de colonisation auront nécessairement eu des répercussions importantes sur l’organisation des sociétés autochtones. Ce que ne semble pas démentir les signes nombreux d’inégalités socio-économiques chez les pêcheurs du sud-est sibérien dès le Néolithique soit bien avant la formation des États voisins (Testart, 1982).
Laissons de côté ces divergences de vue sibériennes. Je suis surtout frappé par le fait que, chacune à leur manière, les contributions de Charles Stépanoff et Rémi Haddad concentrent l’essentiel de leur attaque sur la relation qu’établie Alain Testart entre le stockage et l’émergence des inégalités socio-économiques. Pourquoi pas ? Dont acte. Admettons que Testart se trompe et que le stockage à grande échelle ne soit pour rien ou pour partie seulement dans l’apparition des inégalités chez les chasseurs-cueilleurs. En quoi cette démonstration change-t-elle quelque chose à mon propos ?
Le point de départ de ma thèse n’a jamais été la théorie du stockage d’Alain Testart. Contrairement à ce que semble vouloir me faire dire Charles Stépanoff, ce ne sont pas « des indices de stockage et de sédentarité » (d’ailleurs bien trop erratiques pour cela) qui « me permettent de faire l’hypothèse que ces sociétés offraient déjà un profil économique qui, en vertu des analyses comparatives de Testart, laisse présager l’existence de relations sociales inégalitaires. ». (Stépanoff, 2020, p. 269).
Dans mon livre, la question du stockage est étudiée comme un marqueur possible d’inégalités socio-économiques au même titre que l’existence de tombes richement dotées ou la curieuse coïncidence géographique entre sédentarité, art pariétal, parures corporelles et sépultures. Aussi, contrairement à ce qu’écrit R. Haddad, je ne crois pas être tombé dans « le piège » que constituerait « l’application archéologique d’un modèle aussi séduisant que celui d’Alain Testart […]. » (Haddad, 2020, p. 308).
Mon hypothèse de départ dois-je le rappeler se fonde sur un tout autre indice : le naturalisme artistique. J’estime en effet qu’il y a là matière à s’interroger. Du point de vue de l’histoire de l’art, l’imitation a toujours servi à défendre le pouvoir politique d’une minorité. Comme je l’ai écrit, s’il y a d’autres moyens pour une élite que l’imitation artistique pour exprimer son prestige, il n’existe pas à ma connaissance d’art naturaliste qui ne soit né d’une société hiérarchisée. Ceci pour deux raisons mécaniquement liées. L’élite s’intéresse à l’imitation parce que celle-ci revient à s’approprier symboliquement le monde, à en faire sa chose ce qui est source de prestige. Représenter fidèlement le réel exige un long apprentissage. L’acquisition de ce savoir implique selon toute probabilité une forme de spécialisation artisanale même à temps partiel. Ce qui implique la nécessité par cette même élite de prendre en charge les besoins vitaux des individus en charge de la réalisation des représentations.
C’est donc à la question fondamentale de l’origine sociale du goût des Paléolithiques pour l’imitation qu’il convient de répondre et non à celle de savoir si les prédictions d’Alain Testart sur le stockage sont exactes ou non. Dans la mesure où l’existence de sociétés inégalitaires de chasseurs-cueilleurs est avérée, rien n’interdit sur un plan théorique qu’il ait pu en être ainsi au Paléolithique récent. Que les raisons de ces inégalités socio-économiques soient économiques, idéologiques ou les deux à la fois, là n’est pas le problème (même si la question a évidemment son intérêt). Ce déplacement de la question du naturalisme paléolithique à celle de la validité de la théorie du stockage de Testart me paraît symptomatique du fait que sur le terrain artistique, les arguments qui me sont opposés peinent à (me) convaincre.
Je ne m’attarde pas sur l’article de Rémi Haddad dans lequel les aspects artistiques sont à peine effleurés. L’auteur relève toutefois une contradiction dans mon propos. Comment expliquer que les tombes à riche mobilier funéraire que j’invoque pour justifier l’existence éventuelle d’une élite soient majoritairement gravettiennes alors même que la période est « relativement peu portée sur le réalisme pictural » (Haddad, 2020, p. 309). Cette affirmation mérite d’être doublement nuancée. S’il est vrai que les sépultures connues sont majoritairement gravettiennes, d’autres que je cite dans mon livre ne le sont pas. Les tombes spectaculaires de Sungir dans la plaine russe en sont le meilleur exemple puisqu’elles dateraient d’au moins 35 000 ans BP (Otte, 2017). Je crois aussi mentionner la riche sépulture du Pléistocène final de La Madeleine tout comme celle magdalénienne de Saint-Germain-la-Rivière.
Quant à l’art d’époque gravettienne, il est indiscutable que la part de l’imitation y est moins importante qu’elle ne l’a été avant lui et qu’elle ne le sera après. Il serait trop long de revenir ici sur les causes environnementales et ses conséquences sociales que j’attribue dans mon livre à ces écarts. Pour autant, même si la période est marquée sur le plan artistique par un certain schématisme, la virtuosité dont font preuve les artistes reste très élevée. Il suffit de regarder la maîtrise technique des piquetages de la vallée du Côa, la qualité du geste des gravures monumentales de Cussac ou celle des dessins noirs de la grotte de Pech-Merle dont le préhistorien Michel Lorblanchet attribue à l’auteur le titre de « maître du trait » (Lorblanchet, 1981). Le fait que les sépultures riches soient majoritairement (mais pas exclusivement) gravettiennes ne me semble donc pas contredire l’existence éventuelle d’une élite paléolithique.
Tête de renard sculptée sur propulseur, grotte d’Arudy © D.R.

Des arguments artistiques contestables

Si, de son côté, Charles Stépanoff estime que « les animaux sont exécutés avec une somptueuse précision » (Stépanoff, 2018, p. 125), il doute pour autant que ce savoir-faire ait nécessité l’intervention de spécialistes. Il appuie ce jugement en prenant le cas de l’art des Nivkh mentionnés plus haut :
Confirmant les intuitions d’Emmanuel Guy, c’est dans le groupe où la richesse joue le rôle social le plus prononcé, chez les Nivkh, que l’on voit se développer des statuettes animalières d’un réalisme remarquable. […] un art réaliste accompli par des individus talentueux, nullement professionnels, dont les œuvres ne sont pas appropriées par une élite (il n’en existe pas dans la société nivkh), mais partagées par un groupe de filiation. De sorte que la spécialisation n’implique pas nécessairement des discriminations sociales sur le modèle des artistes financés par des princes comme à Florence. (Ibid., p. 130-131).
Indépendamment des ambiguïtés signalées plus haut quant à l’organisation des sociétés du sud-est sibérien, le parallèle qui est fait entre les statuettes nivkh et l’art paléolithique me paraît contestable. L’art nivkh comme celui de tous les peuples de la région, Aïnou inclus, n’est pas un art réaliste. Il est schématique et géométrique avec une forte dimension ornementale. Il est vrai cependant qu’il existe chez les Nivkh en particulier des statuettes d’un style plus réaliste. Si ces statuettes sont d’honnête facture, celles qu’il m’a été donné de voir ne sauraient rivaliser avec la finesse des plus belles pièces d’art mobilier paléolithique (fig. 2).
La comparaison de Stépanoff souffre selon moi d’un autre biais. Il est toujours délicat lorsque l’on parle d’imitation de mettre sur un même plan représentations plastiques et représentations graphiques. Figurer un sujet en ronde-bosse n’est pas aisée, la dureté des matériaux peut rendre la tâche ardue mais cette technique offre un avantage notable : celui de représenter naturellement les sujets ou les objets en trois dimensions. La transposition nécessaire d’une représentation tridimensionnelle sur un support bidimensionnel est une opération mentale éminemment plus complexe. Elle implique de concevoir des solutions formelles afin de créer l’illusion de la troisième dimension. Autre paire de manches. Ce n’est pas un hasard si les étudiants des Beaux-Arts sont formés au modelage en même temps qu’ils apprennent le dessin. Cette pratique facilite l’appréhension immédiate des volumes et des masses et favorise leur restitution lors du délicat passage à la représentation en deux dimensions. Dans ce domaine, c’est important de le rappeler, les artistes paléolithiques sont allés très loin : superposition de plans, mise en réserve, perspective en diminution, perspective atmosphérique, rendu des modelés… Ils font montre d’une réelle science et il est difficilement concevable qu’ils aient pu l’acquérir de manière spontanée sans qu’ils y consacrent une grande partie de leur temps.
Aucun des procédés tridimensionnels cités inventés au Paléolithique récent ne réapparaît avant l’Égypte ancienne et je dirais même plutôt la Grèce antique. C’est dire à quel point le niveau de connaissance atteint dans les grottes se situe bien au-delà de la simple prédisposition naturelle. Au reste, si la maitrise illusionniste des peintres paléolithiques n’était qu’une affaire de talent individuel ou même de temps libre comme on me l’a parfois suggéré, on devrait la retrouver dans tous sociétés de chasseurs-cueilleurs ce qui n’est pas le cas.
En d’autres termes, s’il est possible que les statuettes nivkh n’aient pas nécessité l’intervention d’un spécialiste, il me paraît imprudent d’en tirer des conclusions quant au statut des peintres de Chauvet, Lascaux ou Niaux.
Charles Stépanoff s’interroge enfin sur la réalité au fond de ce naturalisme paléolithique strictement réduit aux seules représentations animales :
Le traitement « réaliste » des animaux ne fait pas un « naturalisme » tel qu’on le connaît dans la peinture occidentale moderne. Si l’exécution individuelle des animaux des grottes est d’une précision minutieuse, y fait en revanche absolument défaut tout souci d’objectiver un contexte, un paysage, une nature comparable au Paysage montagneux avec un dessinateur de Roelandt Savery vers 1606, dans lequel Philippe Descola relève la manifestation d’une ontologie naturaliste naissante (2005 : 91-93). (Stépanoff, 2018, p. 132).
Et, le même auteur de s’étonner un peu plus loin que ce désir d’appropriation de la nature que j’attribue à l’illusionnisme artistique en général et à la production paléolithique en particulier ne soit pas explicitement représenté sur les parois des grottes :
Du reste, comment attribuer une soif de domination de la nature à des artistes paléolithique quand la seule scène d’interaction entre humain et animal qu’ils aient daigné nous laisser dans les grottes, la fameuse scène du puits de Lascaux, représente un homme qui semble avoir été renversé par un bison. S’ils se concevaient comme des maîtres du monde, pourquoi n’ont-ils pas simplement couvert les parois des grottes de vigoureux hercules terrassant des taureaux comme dans l’art grec ? (Ibid., p. 133).
Je ne vois pas en quoi le fait que l’illusionnisme paléolithique soit restreint aux seules représentations animales change quelque chose au mécanisme d’appropriation symbolique décrit plus haut ni même à la spécialisation artistique que, selon toute probabilité, elle requiert ? Justement parce qu’elle est symbolique, cette domination de l’Homme sur le monde n’a pas nécessairement vocation à être littéralement représentée. Elle est le reflet d’un certain rapport au monde, elle n’est pas une fin en soi. Je me demande par ailleurs si une application par trop rigoriste des ontologies de Philippe Descola au domaine des images ne conduit pas Ch. Stépanoff à considérer le naturalisme artistique comme un phénomène exclusivement occidental. Ce n’est pourtant pas le cas. Il suffit d’évoquer les têtes sculptées des royaumes d’Ifé pour s’en persuader. Je pourrais citer l’art précolombien où l’intention mimétique est parfois évidente. Même l’art de la côte Nord-Ouest de l’Amérique n’est pas exempt de préoccupation naturaliste. Je cite dans mon livre cette intéressante remarque de Franz Boas au sujet des peintures faciales :
Un point intéressant apparut au début de mes investigations. Les décorations varient selon le rang et la richesse de celui qui les porte. Les représentations animales intégrales et réalistes sont considérées comme de plus grande valeur, et indiquant un rang supérieur, aux représentations conventionnelles, formées de symboles des animaux (Boas, 1898, p. 14).
Même s’il est une dominante de l’art occidental, le naturalisme artistique a fleuri dans des contextes historiques et géographiques très différents. L’accusation d’anachronisme qui m’est faite de manière plus ou moins explicite n’a donc pas lieu d’être. En revanche, il est probable que si le naturalisme est bien un trait dominant de l’art occidental c’est précisément parce qu’il est une forme d’expression spécifique aux sociétés hiérarchisées.

Conclusion

On l’aura compris, pour Charles Stépanoff comme pour Rémi Haddad, rien, et en tout cas pas l’art, ne justifie d’imaginer qu’il y ait pu avoir des structures sociales hiérarchisées chez les chasseurs-cueilleurs européens du Paléolithique récent. Si le naturalisme des grottes n’est pas, comme je le pense, un instrument de pouvoir politique, on est en droit de se demander alors quelles sont, d’après eux, les motivations qui ont conduit les Paléolithiques à manifester un intérêt aussi long et poussé pour la mimésis ? La réponse que livre Ch. Stépanoff est si évasive que je crains presque de trahir sa pensée en la retranscrivant. C’est dans « l’attention chargée d’émotion du chasseur engagé dans un corps à corps avec l’animal qui le nourrit et l’habille » que se nicheraient les raisons profondes du soin avec lequel ce dernier a été représenté sur les parois des grottes (Stépanoff, 2018, p. 147). Autrement dit, animé par une profonde empathie envers l’animal qu’il s’apprête à tuer, le chasseur paléolithique aurait eu à cœur d’exprimer sa gratitude et son respect à travers une restitution minutieuse de son apparence.
Je ne doute pas que les chasseurs du Paléolithique récent respectaient eux aussi les animaux qui les entouraient, en revanche, je doute fortement (c’est un euphémisme) que cette considération, aussi grande soit-elle, ait pu mener à un tel aboutissement artistique. La beauté s’adresse aux Hommes, pas aux animaux. Surtout, si cette seule explication suffisait, comment expliquer que la même volonté d’honorer les animaux soit absente de l’art des autres sociétés de chasseurs-cueilleurs ? Serait-ce à dire que le chasseur-cueilleur australien ou tanzanien pourtant certainement enclin à la même « attention chargée d’émotion » et également engagé dans un « corps à corps avec l’animal qui le nourrit et l’habille » était moins respectueux de sa proie que ne l’ont été les chasseurs du Paléolithique récent ?

Références citées

  • Boas, Franz. « Facial paintings of the indians of Northern British Columbia », Memoirs of the American Museum of Natural History, vol. 2, New York, 1898 : 13-24.
  • Guy, Emmanuel. « Quand le "paléolithiquement correct" s’invite dans la discussion », L'Homme, vol. 234-235, no. 2-3, 2020 : 245-254.
  • Haddad, Rémi. « Inactualités de la révolution néolithique. Rousseau, l’Anthropocène et les nouveaux riches de la préhistoire », L'Homme, vol. 234-235, no. 2-3, 2020 : 291-318.
  • Kan, Sergei A. « The “Russian Bastian" and Boas, Why Shternberg's “The social Organisation of the Giliyak” Never Appeared Among the Jesup Expedition Publications », Gateways, exploring the legacy of the Jesup North Pacific Expedition 1897-1902, Krupnik and Fitzhugh ed., Arctic Studies Center, National Museum of Natural History, Smithsonian Institution (D.C.), 2001 : 217-255.
  • Lorblanchet M. « Les dessins noirs de Pech-Merle » in Congrès préhistorique de France, 21e session (sept. 1979), 1981 : 178-207.
  • Otte, Marcel. « La civilisation du Sungirien », Eraul, n°147, Liège, 2017 : 7-19.
  • Sirina, Anna A., Roon Tat‘iana P. « Lev Iakovlevich Shternberg : at the outset of Soviet Ethnography » in Jochelson, Bogoras and Shternberg : A Scientific Exploration of Northeastern Siberia and the Shaping of Soviet Ethnography, Erich Kasten ed, Fürstenberg/Havel, Kulturstiftung Sibirien, 2018 : 207-264.
  • Stépanoff, Charles. « Les hommes préhistoriques n’ont jamais été modernes », L'Homme, vol. 227-228, no. 3-4, 2018 : 123-152.
  • Stépanoff, Charles. « Des inégalités inégales. Richesses, hiérarchie et cosmopolitique en Asie septentrionale », L'Homme, vol. 234-235, no. 2-3, 2020 : 267-290.
  • Testart, Alain. Les Chasseurs-cueilleurs, ou l’Origine des inégalités, Nanterre, Société d’ethnographie (« Mémoires » 26), 1982, 254 p.

8 commentaires:

  1. Bonjour
    Critiqué ou pas, l'ouvrage d'Emmanuel Guy semble une étape. Il y a l'avant et l'après. Au final, il fait avancer la connaissance et les critiques qui en sont faites viennent aussi la nourrir.
    Par ailleurs, suite au livre d'Alain Testart sur l'art des grottes ou aux travaux de JL Le Quellec(mythe d'émergence), il semble difficile de considérer les représentations humaines des grottes ornés comme non réalistes, ni même d'associer l'absence de paysage terrestre à une lacune dans le réalisme. Les peintures pourraient représenter un moment de la création durant lequel les créations ne sont pas encore parvenues à la surface terrestre (absence logique de paysage) et, pour Testart, l'être humain n'est pas encore complet. Les représentations incomplètes de l'être humain et l'absence de paysages seraient donc logiques.
    Juste une interrogations sur le livre d'Emmanuel Guy, qui me semble vraiment important quoiqu'il en soit : les traces assurées de sédentarisation et la possibilité de l'existence d'une inégalité économique et politique sont en Europe de l'est, ou les grottes ornées semblent pourtant rares (Grotte de Coliboaia en Roumanie, grotte de Kapova en Russie), les traces assurées de sédentarisation en Europe de l'ouest sont quasi inexistantes (il y a des possibles mais d'assurés ?) et les grottes sont nombreuses. Certes, le littoral étaient plus loin et des indices sont peut être sous la mer, mais les sites seraient malgré tout bien éloignés des grottes ornées.
    De futures découvertes permettront peut être de mieux préciser;

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    1. Bonjour
      Je ne suis pas le débat de très près, mais je ne connais personne qui ait considéré l'absence de paysages comme une lacune dans le naturalisme. Vous pensez à quelqu'un en particulier ?
      Pour le reste, vous mettez le doigt sur un des sujets qui a traversé le colloque de l'an dernier, organisé par Emmanuel et moi-même. Cela n'engage que moi, mais je dirais bien que nous avons trois catégories d'indices possiblement (ou probablement, selon les points de vue) indicateurs de sociétés différenciées par la richesse : la sédentarité et une sépulture (gravettien russe), des pierres exceptionnellement taillées, peut-être à des fins non utilitaires (solutréen en France) et l'art magdalénien, essentiellement en France aussi. Or, ces trois indices possibles sont effectivement dispersés dans le temps et dans l'espace, et ne semblent pas « faire système », selon l'expression consacrée.
      Quant aux possibles indices aujourd'hui submergé, c'est évidemment la grande question... à laquelle nous n'aurons probablement pas de réponse de sitôt.

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  2. D'une part il dit que le fait qu'il n'y ait pas d'art réaliste à l'ère gravettienne n'empêche pas les inégalités sociales et d'autres part dans le cas des nikhv il répond à cet argument en disant que leur art n'est pas réaliste.
    Mais surtout en quoi le fait que les artistes soient entretenus aux frais de la société implique-t-il qu'il y ait une élite ?

    Au reste, si la maitrise illusionniste des peintres paléolithiques n’était qu’une affaire de talent individuel ou même de temps libre comme on me l’a parfois suggéré, on devrait la retrouver dans tous sociétés de chasseurs-cueilleurs ce qui n’est pas le cas.

    Pourquoi ? L'art et plus specifiquement le realisme dans l'art ne sont pas nécessairement des finalité de tous les chasseurs cueilleurs capables de le produire.
    Et quels sont les arguments pour affirmer que le réalisme vient du sentiment d'être maître ou propriétaire de la nature ? Ça me parait complètement tiré par les cheveux.

    De plus on pourrait lui retourner l'argument du "si je n'ai pas raison, pourquoi tel autre société de chasseir cueilleur n'a pas un tel art ?" : si il a raison pourquoi certaines sociétés hiérarchisées ne font de réalisme ? Notamment la bourgeoisie actuelle et son art contemporain.

    Puis dans une société hiérarchisée il y a au moins deux classes, et laquelle des deux classes fait cet art ? Ce n'est pas forcément l'art de la classe dominante.

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    1. Bonjour

      J'ai un peu du mal à m'y retrouver dans ce que vous écrivez, et à comprendre quelle objection s'adresse à qui (il semble que ce soit à Emmanuel Guy, mais j'ai l'impression que certaines des idées que vous lui attribuez ne sont pas les siennes. Il n'a par exemple jamais dit que la hiérarchie sociale produisait nécessairement le naturalisme, mais que le naturalisme ne pouvait émerger que dans un contexte de hiérarchie sociale, ce qui est bien différent).
      En deux mots, et pour ma part (je me suis déjà exprimé plusieurs fois sur ces thèmes dans différents textes) : je ne suis pas certain que le réalisme (ou le naturalisme) puisse être considéré comme un trait émanant nécessairement d'une société hiérarchisée. De la même manière, il me semble que certaines sociétés de chasse-cueillette ont pu investir beaucoup d'énergie dans certains domaines (cf. l'Australie et ses experts religieux) sans pour autant que cette spécialisation traduise une élite différenciée par la richesse. L'autre problème est celui que je soulevais dans le commentaire qui précédait le vôtre.

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  3. Une question sur le texte d'Emmanuel Guy tout en haut: le mot "élite" signifie-t-il "riche" ? J'ai l'impression au début que non (les riches entretiennent les spécialistes), et puis après, que lorsqu'il s'agit des "sépultures riches", on a une équation élite = riches.
    Derrière ma question, celle (ni préhistorique ni ethnologique) de savoir si on peut avoir des spécialistes dans une société égalitaire. Après la Révolution (que j'espère demain), je veux pouvoir voyager en avion, mais si à l'arrivée, j'ai un infarctus et doit me faire triple-ponter des coronaires, alors je refuse que le pilote de l'avion fasse cela parce qu'il aime ça: je veux être opéré par un ou une spécialiste. Je veux aussi que la pilote de mon avion ne soit pas une ophtalmo à la retraite (même avec de bonnes lunettes).
    Que les peintres dont vous parlez soient de super-spécialistes, je veux croire que la condition nécessaire et suffisante à leur existence est qu'il y a un surplus permanent et qu'une partie en soit stockée, ce qui évite la pénurie et permet de continuer à faire fonctionner une société avec ses spécialisations sans devoir envoyer toute l'école de peinture rupestre à la chasse parce que tout le monde à faim. Ce qui me désespérerait (mais je suis prêt à le faire), ce serait d'admettre comme semble le faire le texte tout en haut, que seuls des riches (des exploiteurs, des spécialistes de rien) auraient intérêt à un art spécialisé. D'ailleurs, si c'était vrai (cette histoire de représentation), alors pourquoi les riches voudraient-ils aussi de la belle musique (faite par des spécialistes) à leur mariage ? De tout temps la classe dominante utilise l'art à son profit, mais si il faut en déduire que là où il y a pas de classe dominante, il y a pas d'art, alors en effet le raisonnement de ce premier texte tient debout: la classe dominante est une condition nécessaire à de si beaux dessins et donc quand on voit Lascaux, vu le niveau des dessins, on a une société inégalitaire, cqfd.
    Excusez mon irruption dans un débat de spécialistes, dont je ne maîtrise pas l'alpha et à peine l'omega (notre société inégalitaire me paye à un peu autre chose...).

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    1. Bonsoir
      Aucun souci pour l'irruption, et vos remarques sont loin d'être hors-sujet, bien au contraire. Le problème des rapports entre inégalités de richesse et division du travail est loin d'être évident. D'une manière générale, je crois qu'il fat se méfier comme du Covid des raisonnements simplistes, à commencer par penser que le problème se posait de la même manière il y a 30 000 ans et aujourd'hui – je ne dis pas que vous le faites !
      Un premier aspect, me semble-t-il, c'est que les inégalités de richesse, en tout cas de nos jours, ne procèdent pas fondamentalement de la division du travail, mais de l'inégale possession (privée) des moyens de production. Certes, un pilote de ligne gagne davantage qu'un livreur, mais les grandes fortunes viennent des revenus de la propriété et non de ceux du travail.
      Un autre aspect est celui de la division du travail dans une future société égalitaire. Je crois que celle-ci pourra à la fois persister et disparaître. Je copie-colle une réponse que je faisais il y a quelques semaines à quelqu'un qui posait une question similaire : « Renvoyer les intellectuels aux champs, en effet, on sait ce que cela a voulu dire. En revanche, faire en sorte que les intellectuels (et d'une manière générale, tout individu valide dans la société) soient astreints à quelques heures de travail crétin, cela changerait bien des choses. Si dans une université telle que la mienne, des tâches aussi exaltantes que le ménage et la restauration étaient assurées à tour de rôle par tous les usagers, étudiants, administratifs et enseignants-chercheurs, la qualité du travail intellectuel n'aurait guère à en souffrir (j'oserai même dire « au contraire ») et bien des comportements se modifieraient radicalement. Et accessoirement, les gens qui y occupent aujourd'hui à plein temps tous ces emplois merdiques auraient enfin le temps pour s'instruire et se cultiver ! »
      Restent les inférences sur les sociétés préhistoriques. Pour commencer, il faut rétablir un point : Emmanuel Guy n'a pas dit qu'une classe dominante était une condition nécessaire de l'art en général, mais de l'art 1) produit par des spécialistes 2) que l'on peut qualifier de naturaliste. Je ne suis pas moi-même convaincu de ce raisonnement, mais c'est de lui qu'il faut discuter.
      Je finirai sur la question du surplus, sur laquelle j'ai pas mal travaillé, et qui me semble un terrain très glissant (bien que largement fréquenté), en formulant un seul des arguments possibles. Si dans une société donnée, les gens consacrent 90% de leur temps à produire leur nourriture et 10% aux activités artistiques, il peuvent fort bien, sans changer quoi que ce soit à leurs capacités de production, détacher 10% d'entre eux à plein temps pour faire de l'art, les autres produisant alors la nourriture durant toute leur journée de travail. Autrement dit, ce qu'on appelle alors le surplus n'est pas une condition de la division du travail, mais un simple effet de celle-ci (et on se demande dans quelle mesure ce concept nous sert réellement à comprendre quelque chose).
      Bien cordialement

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  4. Mille mercis décovidés pour la réponse ! "de l'art 1) produit par des spécialistes": là y a un truc que je voudrais pas mais auquel le destin nous pousse, c'est vouloir donner une définition de ce qui est de l'art qui le détache de la "production culturelle". Pour moi, l'art, c'est le produit de spécialistes. Et c'est ce qui m'a un peu convaincu dans le texte d'Emmanuel Guy, lorsqu'il parle de "selon toute probabilité une forme de spécialisation", j'ai l'impression qu'on parle bien d'art. J'ai conscience qu'il s'agit là d'une définition restrictive de l'art, mais comme me disait un copain l'été dernier, à qui je disais que les oiseaux étaient bien peut-être bien des artistes (ils apprennent, ils développent dans certains cas une expression abstraite propres au groupe et non à l'espèce): "elles sont où les écoles où ils apprennent, tes oiseaux ?". Je n'ai pas lu le livre d'Emmanuel Guy, mais il y a là une idée qui me séduit au premier abord, à savoir qu'à Lascaux, n'y entrait probablement pas qui voulait pour taguer un truc. On a probablement affaire à un groupe d'individus qui sont capable d'exclure les plus mauvais, de sélectionner les meilleurs, de former - pour employer le mot d'E Guy - une "élite". S'ils étaient au service d'une classe ou s'il formaient eux-mêmes une catégorie de riches, je vous laisse en discuter entre vous, je veux pas plomber le débat...

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  5. Quand même: sur l'hypothèse de ce que la représentation peut avoir d'imposant, c'est à dire sur ce que le naturalisme peut avoir à voir avec la domination (si j'ai un peu compris l'idée de E. Guy), mon idée est que l'art (en temps que produit de spécialistes) en impose quel qu'il soit. Dés lors que dans une société, il est accepté que les spécialistes font quelque chose d'une autre essence que ce que le reste des membres de cette société sont capable de faire (parce qu'en fait ils bossent à cela toute la journée), alors on a le germe possible d'une domination. Pour rester dans le domaine des arts plastiques et même graphiques: dès lors que dans la grotte, même si on a tous le doit d'y rentrer, ce sont ceux-là, les artistes, qui y ont peint et que nous (le reste de la société) ne sommes là que pour regarder, alors le germe de la domination est là. Pour sauter dans le domaine de la musique (qui m'est bien plus familier): chez les pygmées Aka https://fr.wikipedia.org/wiki/Chant_polyphonique_des_pygm%C3%A9es_Aka , on a pas de classes, mais surtout, on a pas de distinction entre producteurs et consommateurs de la musique, on a pas d'artistes et de public. Il est inenvisageable de faire taire quelqu'un parce qu'il chante mal, ou au contraire, que je chante moins fort parce que mon voisin, lui - c'est de notoriété dans le groupe - chante mieux que moi: on est dans une société où on ne s'exerce pas au chant. De retour sur l'art graphique: mon opinion de béotien, c'est que qu'importe ce que fait l'artiste, le fait que la représentation réelle soit "bonne" ou pas (c'est à dire conforme au réel ?). "la beauté s'adresse aux Hommes": le groupe d'artistes (de spécialistes) en impose, qu'il soit peintre ou musicien, et dans ce sens, dès lors que nous avons un groupe d'artistes spécialisé) il peut et doit être (à tout prix) utilisé par la classe dominante.

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