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Du rififi chez les Yanomami

Je continue mon tour du monde des sociétés sans richesse pour y recueillir des éléments concernant la justice et la guerre, et vérifier si la grille d'analyse que j'avais dégagée pour l'Australie peut s'y appliquer avec profit. Aujourd'hui, je m'arrête sur l'un des peuples rendus fameux par une des ethnographies les plus célèbres jamais écrites sur le sujet (prolongée par quelques polémiques assez sordides) : je veux parler des Yanomami, des cultivateurs amazoniens auxquels est consacré le livre de Napoleon Chagnon, qui les qualifiait de « peuple féroce ».
Je prendrai ici les informations de Chagnon pour argent comptant. On les a ensuite beaucoup discutées, suggérant par exemple que les faits qu'ils décrivaient étaient circonscrits à une aire très étroite, ou qu'ils résultaient de la pénétration occidentale. Je poursuivrai mes lectures sur ce point, mais plusieurs indices m'incitent à penser que les conflits décrits dans le livre nous disent des choses tout à fait authentiques sur cette société.

1. Causes et buts de guerre

Le premier point concerne les buts de guerre. Chez les Yanomami, comme chez les Australiens, la guerre est avant tout, sinon exclusivement, un phénomène judiciaire : on se bat avant tout pour réparer un tort subi (réel ou imaginaire). On ne trouve ni conquête territoriale, ni pillage de biens matériels. La guerre provient au premier chef d'un ensemble complexe de différents au sujet de droits sur les femmes et d'accusations de sorcellerie. Il arrive que des accusations de vol de nourriture se mêlent aux motifs allégués. Cependant :
Le vol de nourriture n'était que le catalyseur qui précipitait finalement les hostilités. Le vol de nourriture est souvent provoqué par la volonté d'intimider, non par la faim. Les Yanomami eux-mêmes considèrent que ce sont les luttes au sujet des femmes qui constituent la cause première de leurs guerres. (176)
Si, après une opération militaire victorieuse, on ne pille pas de biens matériels, en revanche, on s'empare très souvent des femmes. Il règne à ce sujet – les femmes à la fois comme cause et comme but de guerre – la même ambiguïté qu'en Australie, et l'on peut donc regarder la réalité sous deux angles opposés. On peut mettre l'accent sur cette omniprésence et conclure que, dans cette société sans richesse, les femmes sont « comme une richesse », que les hommes veulent s'approprier, en suivant les règles ou par la force brute. Mais l'on peut tout autant être intrigué par le fait que même si la capture des femmes « constitue toujours un sous-produit désiré », « peu de raids sont lancés dans [ce] seul but » (175). L'idée est réitérée un peu plus loin : « Généralement, le désir de capturer des femmes ne conduit pas à déclencher les hostilités entre des groupes qui n'ont pas déjà un passé de raids mutuels ». Indépendamment donc du problème qu'il y a à qualifier les femmes de « richesses » (mais en discuter ici nous entraînerait trop loin), on voit bien qu'il serait réducteur de ramener sans ambages ces opérations militaires aux rapts qui en découlaient souvent. Au passage, est-il nécessaire le préciser, le sort des femmes qui en étaient victimes était bien peu enviable :
Une femme capturée est violée par tous les hommes de l'expédition et, plus tard, par tous les hommes du village qui le souhaitent mais qui n'ont pas participé au raid. Elle est ensuite donnée à l'un d'eux comme épouse. Toutefois, si la femme capturée possède un lien de parenté avec ses ravisseurs, généralement, on ne la viole pas. (176)
Un dernier aspect : les affrontements dont il est question ont bel et bien pour but de tuer, et de tuer en quantité – Chagnon cite plusieurs exemples précis ayant entraîné de véritables massacres. Ni qualitativement, ni quantitativement, le phénomène ne doit être minimisé :
Les Yanomami mènent encore des guerres inter-villageoises, ce qui affecte tous les aspects de leur organisation, leur habitat, et leurs habitudes quotidiennes. Ce n'est pas une simple guerre 'ritualisée' : au moins un quart de l'ensemble des mâles adultes périssent de mort violente. (p. 5)

2. Procédures juridico-guerrières

Il est un point sur lequel les données de Chagnon concernant les conflits collectifs sont extrêmement claires : celui du degré de modération des différentes formes de conflits (ou de règlement des conflits) qui, tout comme en Australie, correspond à l'application du principe de modulation.
L'originalité des Yanomami est d'avoir élaboré, au sein des conflits modérés, une gradation formelle en fonction de l'arme et du type de coups autorisés. Les types sont, par ordre croissant de violence admise :

1. Le « chest-pounding duel » (duel de coups au thorax)

Comme son nom ne l'indique pas, cette confrontation n'oppose pas des individus, mais deux collectivités. Le combat se déroule cependant sous la forme originale d'un relai, qui évoque lointainement notre catch à quatre. De chaque camp, donc, s'avance un combattant. S'engage alors un duel alterné : l'un des deux hommes écarte les jambes, bombe le torse et place ses bras derrière le dos. Son adversaire, après avoir ajusté sa distance, lui assène un formidable coup de poing sur le muscle pectoral gauche. Sous le choc, la victime est à demi-étourdie et vacille, lorsqu'elle n'est pas directement projetée à terre. Bruyamment encouragée par ceux de son camp, elle tentera de supporter autant de coups supplémentaires que possible, avant de demander à inverser les rôles. Elle pourra alors rendre autant de coups qu'elle avait reçus – sous réserve que son adversaire parvienne lui-même à les encaisser sans abandonner. Nul ne peut se proclamer vainqueur avant d'avoir reçu autant de coups qu'il en a donnés. Le duel ne peut prendre fin qu'après que le même nombre de coups a été délivré de part et d'autre, ou par un abandon. L'affrontement se poursuit alors, un autre membre du groupe du vaincu venant prendre sa place ; mais, de manière surprenante, les comptes de coups sont remis à zéro, et le combat se poursuit comme si les deux protagonistes venaient de le commencer. Les meilleurs combattants sont donc ceux qui, en fin de compte, reçoivent le plus de coups. « Leur seule récompense est le statut : ils gagnent la réputation d'être waiteri (féroces). » (165). Bien que cela ne soit pas très clair dans le texte de Chagnon, il semble néanmoins qu'en définitive, un décompte soit effectué et que le groupe ayant épuisé les combattants de l'autre camp soit déclaré vainqueur.
Sous l'effet de l'excitation ou de la frustration, on peut décider de basculer vers des formes de combat plus rudes. Le niveau supérieur comporte deux déclinaisons principales.

2a. Le « side-slapping duel » (duel de gifles aux flancs)

Il est identique au précédent, à une différence près :
Le coup est délivré la main ouverte sur le flanc de l'adversaire, entre sa cage thoracique et son os pelvien. Il est un petit peu plus sévère que la frappe du torse, car les blessures sont plus fréquentes et que les esprits s'échauffent plus rapidement lorsque le champion d'un groupe s'effondre à terre, happant l'air, et s'évanouit.

2b. Le chest-pounding avec pierres

On procède au « chest pounding » mais, cette fois, les combattants tiennent une pierre en main afin de lester leurs coups et de les rendre ainsi plus puissants – il est toutefois interdit de frapper le corps de l'adversaire directement avec la pierre.

3. Combat aux gourdins

Le niveau supérieur est celui des gourdins. On utilise des bâtons de presque trois mètres de longs, lourds et flexibles, en forme de queues de billards. On les tient par la partie la plus fine, et l'on frappe avec la plus épaisse.
La plupart des duels commencent entre deux hommes, généralement après que l'un d'eux ait été accusé d'avoir une relation avec la femme de l'autre, ou pris en flagrant délit. Le mari en colère met son adversaire au défi de recevoir un coup de gourdin sur la tête. Il tient son gourdin verticalement, s'appuie sur lui, et expose sa tête afn que son adversaire la frappe. Après qu'il a encaissé un coup, il peut à son tour en administrer un sur le crâne du coupable. Mais dès que le sang se met à couler, presque tout le monde retire une pièce de bois de l'armature de sa maison et se joint à la lutte, en soutien à l'un ou l'autre des combattants. (171)
Deux points sont ici particulièrement intéressants. Le premier est que les conflits individuels prennent manifestement très facilement une tournure collective. Le second est que même si la faute de l'amant est avérée, on opte pour une forme que j'appelle symétrique, où plaignant et coupable sont à égalité de moyens – c'est même le mari lésé qui, par la coutume, doit receboir le premier coup ! On peut se demander si les deux aspects ne sont pas liés : dans la mesure où une moitié du village prend quoi qu'il arrive fait et cause pour l'homme adultère, une procédure asymétrique, qui se résumerait à une sanction, est inenvisageable.
Il faut ajouter qu'à ce stade, les relations frisent la franche hostilité. Plus le village est important, plus les risques que surviennent de tels combats deviennent grands, et :
Avec l'augmentation des combats, la probabilité que le village fissionne et produise deux groupes séparés. La plupart des fissions de villages sur lesquelles j'ai enquêté résultaient d'un combat de gourdin spécifique à propos d'une femme, mais qui ne représentait qu'un incident parmi toute une série de querelles du même ordre. (172)
4. Au degré supérieur, on retourne les gourdins et l'on s'en sert comme une arme pénétrante – l'extrémité par laquelle on les tient normalement en main est suffisamment épointée pour cela. C'est une forme rare, mais qui, malgré sa violence, reste régulée :
Le combat est arrangé à l'avance, et les participants ont donné leur accord pour ne pas utiliser leurs arcs et leurs flèches. De tels combats surviennent entre les membres de deux villages qui ne sont suffisamment en colère les uns contre les autres pour vouloir se tuer, mais qui sont trop furieux pour satisfaire leurs griefs de coups sur le thorax ou d'un combat de gourdins. (173-174)

Le raid, ou la guerre « proprement dite »

Le niveau d'hostilité ultime, qui selon Chagnon relève de la « guerre proprement dite », s'effectue sous forme de raids – mais aussi, d'embuscades où l'on convie l'ennemi à une fête et où on le massacre par surprise alors qu'il se croit en sécurité. L'objectif étant de donner la mort, on emploie lors des raids l'arme la plus létales, proscrite dans les procédures précédentes, à savoir l'arc et la flèche. Les objectifs des raids méritent d'être notés :
Tuer un ennemi, ou davantage, et s'enfuir sans être découvert. Si, malgré tout, les victimes du raid découvraient les assaillants et parvenaient à en tuer un, l'expédition n'était pas considérée comme un succès, quel que soit le nombre de gens que les combattants pouvaient avoir tué avant d'enregistrer leur unique perte. (175)
À la différence d'autres peuples amazoniens, les Yanomami ne prennent pas la tête de leurs ennemis. Ils ne dévorent pas non plus leurs corps - ils ne pratiquent qu'un endo-cannibalisme, en diluant dans un liquide les cendres des os de leurs défunts et en les ingérant.
Pour compléter la présentation effectuée par Chagnon, même si celui-ci ne développe pas vraiment ce point en détail, il laisse assez clairement entendre que le choix entre les procédures tout à la fois modérées et symétriques (des duels plus ou moins rudes selon l'option retenue) et la procédure non modérée et asymétrique (le raid / la guerre) dépend des relations sociales entre les deux groupes. Ainsi :
Les Yanomami ont tendance à éviter d'attaquer les villages avec lesquels ils commercent et organisent des fêtes, à moins d'un incident spécifique, comme un rapt de femmes. Les alliés qui entretiennent des relations de commerce et de fêtes, par exemple, s'accusent rarement de se livrer à la magie noire. (147)

Trois questions pour finir

Tout en apportant, donc de nombreuses informations, cette ethnographie laisse plusieurs questions sans réponse. En particulier :
  1. Existait-il des procédures réellement personnelles, c'est-à-dire qui visaient le(s) coupable(s) et uniquement eux ? La seule dans ce cas qui soit évoquée est le duel aux gourdins, mais qui prend très rapidement un tour collectif. L'importance des solidarités dans cette société expliquerait-elle cette quasi-absence de procédures personnelles, ou celle-ci est-elle simplement due à un défaut des informations données par Chagnon ? Mais ceci n'expliquerait tout de même pas de la peine de mort ?
  2. Qu'en est-il du feud – plus précisément, de l'assassinat de compensation ? Les éléments fournis par le livre poussent à conclure qu'il n'existe pas : on passe directement des duels collectifs et modérées au raid, qui a pour but d'infliger le plus de victimes possible. L'auteur évoque pourtant le feud à plusieurs reprises, en écrivant par exemple que « Toutes leurs querelles et leurs feuds ne peuvent être considérés comme des guerres » (170). Mais en quoi ces feuds qui ne sont pas des guerres consistent-ils au juste ? Un passage laisse penser qu'en réalité, Chagnon entend par ce terme les rudes duels collectifs – « Damowa avait l'habitude de séduire les femmes des autres, ce qui entraînait des feuds fréquents au sein du village et se traduisait par nombre de combats aux gourdins. » (177). On aimerait toutefois en avoir le cœur net ; et si tel est le cas, comment expliquer cette absence de l'assassinat de compensation, si banal ailleurs ?
  3. Enfin, la guerre des Yanomami possède incontestablement une originalité intrigante. L'idée que le succès militaire est conditionné par l'absence de toute perte humaine, quels que soient les dommages infligés à l'adversaire, est pour le moins inhabituelle – une telle attitude est par exemple totalement inconnue en Australie. S'agit-il d'un trait culturel plus ou moins anecdotique, ou, comme j'aurais plutôt tendance à le soupçonner, dit-il quelque chose d'important sur les structures de cette société ? Pour le moment en tout cas, je n'en ai pas la moindre idée…

Les procédures de violence des Yanomami signalées par Chagnon,
localisées dans ma proposition de classification générale

 

13 commentaires:

  1. Jacques Simon13 mars, 2021 00:32

    Ca me rappelle les récits irlandais ou gallois ,avec le même genre d'embuscades et de banquets où l'on massacrait allègrement les invités, parfois pour des motifs "d'honneur"...Bien qu'étatiques (peut-être à réviser...)ces sociétés antiques (mais vues à travers le filtre de la chrétienté du Moyen-Age)ne me semblent guère différentes de celles des Yanomami, à moins que ce ne soient des mythes historicisés reflétant un état plus archaïque de leur évolution. En tout cas ,tout tourne toujours autour de l'honneur des hommes, de leur succès au combat qui reflèterait leur "valeur" pour la société, en leur assurant tantôt plus de femmes (et donc dans une perspective darwinienne plus de succès reproductif) tantôt plus d'autorité et de pouvoir (plus d'alliés,meilleur statut -qui se transmet souvent aux descendants directs, etc),sans toutefois en faire obligatoirement des chefs. Peut-être est-ce là la véritable raison de la volonté de pouvoir des hommes sur les femmes,celle de s'accaparer le plus de femmes possible, et de s'assurer que la progéniture qu'ils en ont est bien d'eux.C'est biologiquement trivial, ça ne dit rien des multiples modalités que ça peut prendre ,et c'est conforme au schéma général des sociétés de primates .Après , la raison,la conscience réflexive, l'empathie propres à notre espèce complexifient le tableau, mais au départ c'est bien le fait qu'un mâle puisse semer des spermatozoïdes à tout va alors que la femelle investit beaucoup plus d'énergie dans chacun de ses gamètes(et pour les mammifères encore plus)qui détermine l'asymétrie du comportement.Je pense que le fait que le mâle s'investisse dans la reproduction doit encore accentuer le phénomène en le déterminant à contrôler de près la sexualité de la femelle.

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    1. Mais dans ce cas, si vraiment la clé de tout c'est la volonté d'assurer la paternité biologique, comment expliquez-vous que la première chose qu'on fasse avec les prisonnières soit de les soumettre à un viol collectif qui implique à peu près tous les hommes du groupe ?

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    2. Jacques Simon15 mars, 2021 12:02

      Je dois sans doute m'avancer sur un terrain sur lequel je ne suis pas légitime, mais cela aurait-il un rapport avec le renforcement du sentiment d'appartenance au groupe,(cf.les bandes d'escholiers au MA et les tournantes modernes) et la volonté de briser la victime,ou d'humilier symboliquement les perdants? A propos, quel est le destin de ces femmes dans leur nouvelle situation? Je n'ai rien lu sur ce peuple, et je me dis que le statut de la femme ne doit pas y être enviable...

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    3. Renforcer le sentiment d'appartenance, volonté de briser la victime, je dirais que ce sont des hypothèses envisageable. Humilier les perdants, je n'en ai pas spécialement l'impression, mais je peux me tromper. En tout cas, mon argument, c'est que c'est tout de même un gros caillou dans la chaussure de l'explication par la sociobiologie. Pour le reste, les femmes deviennent des épouses à peu près comme les autres, si ce n'est qu'elles ne disposent pas du soutien de leurs proches parents en cas d'abus du mari. Mais effectivement, être une femme dans ces sociétés, ce n'est globalement pas la joie - au passage, il existe un témoignage directe d'une femme (Helena Valero) enlevée enfant par les Yanomami et qui a passé presque toute sa vie parmi eux, c'est assez saisissant.

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  2. En gros, c'est les bagarres du village gaulois mais avec des gourdins à bouts pointus. Les anthropologues marxistes n'ont pas bonne presse chez Chagnon, https://www.nas.org/academic-questions/26/3/darkness_in_anthropology_a_conversation_with_napoleon_chagnon

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  3. Unknown pour le serveur mais tu me connais: JP Deranty.

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    1. Hello Jean-Pilippe

      On reconnaît peut-être (sans doute) des formes de combat similaires dans différentes sociétés, par exemple le duel collectif. Mais ce qui est intéressant, c'est l'image d'ensemble qui se dégage du schéma final : pourquoi certaines sociétés ont-elles des procédures collectives et d'autres non ? Pourquoi certaines sociétés ont-elles inventé la personne morale ? Interdit les procédures symétriques telles que les duels ? etc.

      Il y a au moins un point, en tout cas, sur lequel les Gaulois diffèrent radicalement des Yanomami : les Gaulois faisaient la guerre pour le pillage, notamment pour prendre des esclaves qu'ils revendaient ensuite aux Romains. Chez les Yanomami, la guerre est avant tout vindicatoire (par ailleurs, mais c'est sans doute plus secondaire – encore que ? –, les Gaulois prenaient la tête de leurs ennemis et l'exposaient comme trophées. Il y en a de saisissantes reconstitutions au musée de Bibracte, dans le Morvan.

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  4. Intéressant. On peut voir un certain contraste avec les Achuars tels que décrits par Descola dans "les lances du crépuscule", puisque ceux-ci apparemment méprisent absolument toute forme de combat non létal, en particulier Descola fait plusieurs fois référence au mépris des Achuars pour les Quichuas, qui se battent à coups de poing, ce qui ne présente aucun risque sérieux et ferait honte à un vrai guerrier.

    Faudra que le lise Chagnon, tiens :)

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    1. Les Jivaros (dont les Achuars), je suis dedans. Pas lu (encore ?) Les lances du crépuscule, juste le bouquin de Harner et différents articles. Mais effectivement, je n'ai trouvé aucune mention de procédures modérées. Vous avez sans doute mis le doigt sur une caractéristique intéressante de cette culture très orientée vers l'agressivité et la guerre : apparemment, on y considère que la guerre « atténuée », c'est indigne d'un homme qui se respecte.

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    2. Le livre de Descola est vraiment très bon et se lit comme un roman, il ne faut pas s'en priver :). Il fait remarquer que le fait d'être allé visiter les Achuars en couple lui a permis d'être sans doute beaucoup mieux intégré que la plupart des autres anthropologues à la communauté, et aussi bien sûr que sa femme pouvait accéder à l'espace réservé féminin absolument tabou pour tout homme autre que le maître de maison.

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    3. Oui, du coup je me le suis procuré et l'ai survolé rapidement - je privilégie les informations relatives à la justice et à la guerre et, je dois bien l'avouer, je saute le reste. C'est vrai que c'est un très bon livre, où l'auteur sait rester du bon côté de la limite quant à l'emploi d'un style fleuri qu'il affectionne. Prochain billet en tout cas, direction les jivaros...

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  5. Bonjour. Je ne connaissais pas Chagnon, mais le hasard fait que je tombe sur votre article et un autre qui évoque la réaction outrée de Marshall Sallins lors de l'élection de Chagnon à l'Académie royale des sciences.
    SOurce: http://lemoinebleu.blogspot.com/2021/04/marshall-sahlins-et-le-cauchemar.html
    Le 23 février 2013, Marshall Sahlins démissionne ainsi de la National Academy of Sciences (Académie Nationale des Sciences) pour protester, pêle-mêle, contre «l’élection de Napoléon Chagnon et les projets de recherche militaire de l’Académie.» Voici la déclaration qu’il publia alors pour expliquer sa démission :

    «Comme le prouvent ses propres écrits ainsi que le témoignage d’autres personnes, y compris celui des peuples amazoniens et des spécialistes qui observent cette région, Chagnon a fait beaucoup de mal aux communautés indigènes au sein desquelles il a effectué ses recherches. Parallèlement, ses déclarations "scientifiques" concernant l’évolution humaine et la sélection génétique en faveur de la violence masculine – comme dans l’étude célèbre qu’il a publiée dans Science en 1988 – s’avèrent superficielles et sans fondement, ce qui n’est pas à l’honneur de l’anthropologie. Son élection à l’Académie Nationale des Sciences est, au mieux, une énorme bévue morale et intellectuelle de la part de ses membres. À tel point que ma propre participation à l’Académie est devenue gênante. Je ne souhaite pas non plus me rendre complice de l’assistance, de l’encouragement et du soutien que l’Académie nationale des sciences procure à la recherche en sciences sociales afin d’améliorer les performances de l’armée américaine, étant donné tout ce que cette armée a coûté de sang, de richesse et de bonheur au peuple américain, et les souffrances qu’elle a infligées à d’autres peuples au cours des guerres inutiles de ce siècle. Je crois que l’Académie Nationale des Sciences, si elle s’engage dans cette recherche connexe, devrait réfléchir au moyen de promouvoir la paix et non de faire la guerre.»

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    1. Bonjour

      Je crois qu'il faut distinguer trois choses, qui sont tout de même d'un statut assez différent.

      La première concerne la qualité des informations livrées par Chagnon sur les Yanomami (en l'occurrence, sur les modalités de la violence organisée dans cette société). La seconde se rapporte aux théories sociobiologiques par lesquelles Chagnon prétendait expliquer ce qu'il avait vu. La troisième, enfin, porte sur les accusations dont Chagnon et d'autres ont été l''objet (avoir notamment suscité de la violence de toutes pièces, ou répandu une épidémie de rougeole).

      À ma connaissance, le troisième point a fait l'objet d'une enquête dont Chagnon est sorti blanchi – mais je vous avoue ne connaître tout cela que par quelques lectures, et je me garderais bien de prétendre à une quelconque expertise. Sur le second point, je comprends très bien qu'on s'oppose aux idées de la sociobiologie et qu'on souhaite les combattre (doit-on le faire en refusant leurs promoteurs l'accès à une académie scientifique, je n'ai pas non plus d'avis sur la question). Enfin, et c'est le point qui m'occupait ici, je ne crois avoir de raisons de douter des informations que je relayais dans le billet et qui, quand on les rapproche de celles obtenues sur d'autres peuples, ont tout de même l'air parfaitement vraisemblables.

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