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Les édifiants souvenirs de Moses Tjalkabota

Un correspondant australien a eu la gentillesse de m'offrir un livre à la diffusion confidentielle, en tout cas en France : Blind Moses, une biographie d'un Aborigène de la tribu Aranda (dans le Désert de l'Ouest, près de l'ex-Ayers rock) devenu évangéliste. Celui-ci, de son nom complet Moses Tjalkabota Uraiakuraia, était né vers 1872. L'auteur, Peter Latz, l'avait connu étant enfant – il avait douze ans lorsque Moses mourut. Le livre a été rédigé sur la base d'une imposante documentation, dont une série de souvenirs livrés par Moses Tjalkabota en personne, et qui avaient été dûment consignés.
Les premiers chapitres du livre contiennent au moins deux éléments très instructifs au sujet de la violence et de la guerre dans ces sociétés traditionnelles.
Le premier concerne un massacre rapporté par l'anthropologue Ted Strehlow, lui-même fils de missionnaire, et que j'avais répertorié dans ma base de données sous l'identifiant n°120. Ce massacre, censé avoir fait entre 60 et 80 victimes et avoir été suivi de longues opérations de représailles, est un des plus meurtriers et des plus célèbres de l'ethnographie australienne. J'étais resté assez sceptique devant ce récit, qui me semblait reposer sur trop peu d'éléments tangibles et, dans le livre, j'ai considéré cet événement comme très douteux. Or, je dois bien avouer que Blind Moses m'a fait changer d'avis – cela dit, d'une manière globale, j'ai préféré pécher par excès de prudence que l'inverse et cette erreur d'appréciation, loin d'affaiblir ma démonstration, la renforce.
Le récit concerne le père de Moses Tjalkabota qui :
(...) en tant qu'Aranda du sud, redoutait qu'on le croit impliqué dans le massacre. De sorte que lui et son groupe, profondément choqués par les événements, décampèrent aussitôt afin de se cacher dans les collines dans la zone la plus septentrionale de leur territoire, le plus loin possible du lieu du massacre. « J'étais terrifié », se souvient Tjalkabota. Sa famille demeura dans le nord durant plusieurs mois, et ne revint qu'une fois convaincue que les choses s'étaient calmées. (p. 15)
L'autre élément, qui possède l'indiscutable saveur de l'authenticité, c'est la manière dont on faisait tenir les enfants tranquilles le soir. Ici, point de père fouettard, d'ogre, ou de quelque être imaginaire et terrifiant inventé pour les besoins de la cause. La réalité, pour peu qu'on la présente sous un certain angle, se suffisait à elle-même :
« Quand la pie chante, vous devez arrêter de jouer. Cela veut dire qu'une troupe de vengeurs va arriver. Les enfants, vous devez rester silencieux. Si vous ne l'êtes pas, ils vont vous entendre en venant pour nous espionner. Puis, au petit matin, ils formeront un large cercle et tueront tout le monde ». Voilà comment ils nous faisaient cesser de jouer, quand ils voulaient que nous allions dormir vite. (p. 11)
Ambiance...

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