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Retour d'Almaty (Kazakhstan)

Léon Trotsky photographié à Alma-Ata, en 1928
Après deux semaines passées à l'ancienne Alma-Ata et capitale du Kazakhstan, située au sud-est de cet immense pays, au pied des hautes montagnes du Tian Shan, un billet en forme de carte postale archéologique.

Pour commencer, ce qu'on ne trouve pas à Almaty, à savoir la moindre trace de Léon Trotsky. Celui-ci y a été déporté par Staline en 1927, alors que la ville s'appelait encore Alma-Ata et qu'elle était loin de compter des deux millions d'habitants actuels. Trotsky y a résidé environ un an, avant d'être expulsé d'URSS et d'entamer un long périple de proscrit conclu par son assassinat. Le pouvoir de la bureaucratie a tenu à effacer toute trace de celui qui avait dirigé la Révolution aux côtés de Lénine. Tout comme la silhouette et le visage de Trostky avaient disparu des photographies officielles, la maison qu'il avait occupée a semble-t-il été détruite sitôt qu'il l'eut quittée. Selon les informations que j'ai pu glaner sur internet, elle se trouvait à l'emplacement de l'actuel 45 rue Gogol, où s'élève à présent un petit bâtiment de facture quelconque. Et si le nouveau pouvoir kazakhstanais a tenu, par nationalisme, à promouvoir les figures locales, rien, pas même une simple plaque, n'indique le passage du résident sans nul doute le plus célèbre de la ville.

En revanche, les musées locaux conservent avec soin les richesses archéologiques de la région, dont les plus remarquables concernent la civilisation des nomades des steppes. A l'époque des Grecs et des Romains de l'antiquité, les cavaliers qui parcouraient les prairies du Kazakhstan faisaient partie d'un vaste ensemble culturel qui s'étendait vers l'Ouest au moins jusqu'à la mer Noire : celui des Scythes (aussi appelés Saces).

Les Scythes sont notamment réputés pour leurs talents de métallurgistes (ils maîtrisaient la fabrication du fer) et leur art animalier, et les deux musées d'Almaty comportent plusieurs pièces qui en témoignent. Mais leur principal intérêt est ailleurs : dans les restes reconstitués des tombes monumentales.

Ces kourganes (le terme local pour désigner un tumulus, monticule de fabrication humaine servant de sépulture) étaient consacrées aux personnages les plus riches et/ou les plus puissants. De dimensions parfois impressionnantes, ils contenaient une chambre mortuaire dans laquelle, en plus du défunt, on déposait des biens et, fréquemment, des chevaux. Sur la signification sociale de telles pratiques, je renvoie au remarquable livre en deux tomes d'Alain Testart, Les morts d'accompagnement, où il montre que cette tradition se rattache à celle, plus large, consistant à assassiner des êtres humains lors de la mort d'un puissant. En deux mots, ce type de sépultures est typique de sociétés qui ignorent les classes et l'Etat, mais qui sont néanmoins structurées autour de fortes inégalités de richesse.

Le kourgane de Berel

Ainsi, le musée de l'académie des sciences d'Almaty propose une très belle reconstitution du kourgane de Berel, fouillé en 1998-1999. Dans cette tombe gisaient un homme et une femme ; l'homme, d'une quarantaine d'années, était mort d'une blessure à la tête. On ne connaît pas les causes du décès de la femme, manifestement plus âgée. Quelques biens étaient déposés dans la tombe que décoraient des statuettes de griffons. Mais le plus spectaculaire était les treize chevaux tués et inhumés, caparaçonnés avec des accessoires particulièrement spectaculaires. On peut trouver en ligne une description du kourgane (rédigée en français) par l'équipe qui l'a fouillé, et l'on pourra en comparer les photographies avec celles de la reconstitution effectuée par le musée :

Le cercueil Sept chevaux (on aperçoit le cercueil sur la gauche)
Un des quatre griffons décorant le cercueil Un cheval reconstitué avec son harnachement Détail du cheval

« L’homme d’or » du musée national

Le musée national propose une surface d'exposition nettement plus imposante mais dont l'intérêt global m'a moins convaincu. Néanmoins, la pièce maîtresse, à elle seule, vaut la visite : il s'agit d'un « homme d’or », un cadavre très richement décoré et doté d'une coiffe proprement extraordinaire, trouvé dans le kourgane de Iessik et daté du IVe siècle avant notre ère. Avec ce personnage d'environ 18 ans, on a retrouvé environ 4 000 accessoires en or !
« L’homme d’or » de Iessik La coiffe de « L’homme d’or »
On ne saurait terminer cette revue sans mentionner le fait que les kourganes scythes possèdent l'insigne particularité de contenir une proportion très inhabituelle de femmes en armes (un phénomène auquel j'ai consacré plusieurs pages de mon Communisme primitif...). Celles-ci représentent environ un cinquième de ces tombes « princières ». L'archéologue qui a procédé à une revue systématique du phénomène, Jeannine Davis-Kimball, a d'ailleurs émis l'hypothèse que l'homme d'or pourrait en réalité bien être...une femme d'or (ceux qui lisent l'anglais pourront prendre connaissance de ses arguments dans cet article). La tradition d'armer les femmes (plus exactement, une partie d'entre elles) se prolonge par exemple jusque dans les armées de Gengis Khan, elles aussi formées de nomades des steppes chez qui l'orientation de toute la société vers l'activité martiale était particulièrement poussée.

Enfin, il faut une fois encore mobiliser Alain Testart et l'article qu'il écrivit à propos d'un livre de Iaroslav Lebedynsky, le grand spécialiste francophone des Scythes : Les Amazones, entre mythe et réalité. Il y soutient de manière extrêmement convaincante que les peuples scythes et leurs troupes en partie féminines sont à l'origine de la légende grecque des Amazones, qui ont tenté d'expliquer par un récit légendaire une réalité qui heurtait les fondements de leurs conceptions sociales.

3 commentaires:

  1. pfff... cette obsession pour l'or et les femmes en petite tenue avec des armes de guerre, nous ce que l'on veut voir ce sont des photos de l'honoré auteur de ce blog avec un chapeau en fourrure pointu en train de se faire bouffer la joue par un aigle royal domestiqué pendant les Kazaks du coin se fendent la poire à côté

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  2. Merci pour cette carte postale altruiste.

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