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La sédentarité sans agriculture ni stockage (2) : retour sur les Asmats

Je poursuis ici le questionnement amorcé avec ce billet, dans lequel j'examinai la catégorie proposée par A.Testart de « sédentarité pour conditions écologiques favorables ». Celle-ci pose deux problèmes de nature très différente ; le premier est d'ordre empirique, et consiste à savoir si cette possibilité, qui n'est pas absurde sur le plan logique, s'est effectivement incarnée dans des cas concrets. Le second est d'ordre théorique : si de telles sociétés existent et se caractérisent, comme l'affirme A.Testart, par la présence de paiements et d'inégalités économiques, alors comment les articuler à la proposition générale de cet auteur selon laquelle c'est le stockage qui est au fondement de la richesse ?
Des trois sociétés susceptibles de représenter ce cas de figure, l'une d'elles (les Warao du delta de l'Orénoque) a été éliminée d'emblée par A.Testart lui-même, pour pratiquer le stockage alimentaire – en l'occurrence, celui du sagou – sur une échelle non négligeable. La seconde candidate, les Calusa de Floride, est trop mal connue pour qu'on puisse la caractériser avec certitude (si la stratification sociale n'y fait guère de doute, l'absence du stockage y est beaucoup moins certaine). Restent donc les Asmats de la côte méridionale de la Nouvelle-Guinée, observés par plusieurs témoins dans les années 1950-1960, et sur lesquels on dispose d'informations plus fiables.

Une société à richesse

Il n'est pas évident, lorsqu'on lit les descriptions laissées par les premiers ethnographes des Asmats (en particulier, les missionnaires G. Zegwaard et F. Trenkenshuh), de deviner que cette société était structurée par des paiements, et donc marquée par des inégalités de richesse. Cet aspect des rapports sociaux asmat est totalement occulté chez le premier, et à peine moins chez le second. Plusieurs éléments décisifs sont en revanche apportés sur ce point par la thèse de doctorat de David Eyde, rédigée à partir d'observations effectuées en 1961-1962.
Un mât gravé, dont la fabrication et l'inauguration
s'insérait dans les cycles cérémoniels... et économiques.
L'existence de paiements de mariage est ainsi clairement attestée. D.Eyde mentionne des « haches, et autres objets de valeur » qui sont versés en son nom par la famille du marié – qui est censé, de surcroît, offrir des cadeaux à sa belle-famille « tout au long de sa vie » (p. 200). Sur ce point, F.Trenkenshuh est plus précis. Corrigeant le silence de G. Zegwaard, il détaille les paiements de mariage effectués en deux occasions. Pour l'une, rapportée par un autre missionnaire, le versement était constitué d'une hache de pierre pour chaque personne ayant participé à l'éducation de la fille (soit huit à dix individus), deux colliers de dents de chien, un grand coquillage triton, quatre arcs, un millier de lances et de flèches, cinq ou six dagues d’os, deux oiseaux de paradis, ainsi que quelques capes de peau de couscous et autres parures. Le second paiement, dont F. Trenkenshuh avait été personnellement témoin en 1969, comprenait 15 haches de pierre, 5 têtes de haches d’acier, une hachette neuve, deux colliers de dents de chien, dix bandes de plumes de casoar, cinq capes de peau de couscous, un grand triton, six arcs, ainsi qu'un ensemble de flèches et de lances qu'il estime respectivement entre 500 et 1000 et entre 100 et 300. F.Trenkenshuh, de manière convaincante, attribue la lourdeur de ces paiements au fait que chez les Asmats, ce ne sont pas seulement certains droits sur la personne de l'épouse que le mari achète ainsi, mais également le transfert de ses propriétés territoriales, en particulier des zones de pêche et de récolte des palmier sagoutiers.
L'autre grande catégorie de paiements, classiquement, concerne les compensations pour blessures et pour meurtre : le prix du sang ou wergeld. Sur ce point, nos informations sont plus parcellaires, mais vont dans le même sens. D.Eyde écrit ainsi qu'en cas de dispute : « On n'effectue pas de paiements, à moins que le sang ait été versé. De tels paiements sont considérés comme des indemnités pour les blessures infligées, plutôt que pour la transgression originelle qui a entraîné la dispute. » (p. 332) On note avec intérêt que « l'importance relative dans le village des deux individus impliqués au départ dans la dispute, ainsi que de leurs parents, entre également en considération. Un homme important peut exiger une forte indemnité et faire en sorte de l'obtenir. » (p. 333)
L'importance de la richesse dans la société asmat se manifeste tout naturellement dans l'exercice du leadership, cette position d'influence plus ou moins formelle. Tout leader était par définition le membre le plus pagé d'un « noyau de parentèle conique », selon le terme proposé par D.Eyde, à savoir l'ensemble formé par les descendants d'un couple de grands-parents. Ce « noyau » regroupait donc les frères et les sœurs de la première génération, et les cousins et cousines au premier degré de la deuxième (il n'est pas très clair pour moi si les relations passant par les hommes étaient privilégiées, ou si l'on tenait compte au même titre de celles qui passaient par les femmes ; je n'ai pas eu le courage de me plonger dans les détails de cette question, qui n'est pas essentielle pour l'objet de la discussion). Or, si tous les grand-pères sont donc, de droit, les leaders de ces groupes coniques, d'autres facteurs intervenaient pour que cette fonction se concrétise voire, qu'elle s'étende au-delà de ce groupe. Il fallait en effet ajouter à cela une double condition : « Seul le leader d'une parentèle conique ayant démontré son courage et son habileté à la guerre et à la chasse, qui a épousé plus d'une femme, et qui est capable de distribuer généreusement du poison et du sagou peut compter sur les membres de sa parentèle conique pour agir en tant que groupe lorsqu'il les sollicite. » (p. 233). Les leaders potentiels qui ne possédaient pas le prestige guerrier, ou à qui cette assise économique faisait défaut, restaient donc les dirigeants d'un groupe virtuel, qui en pratique n'agissait pas en tant que tel, et dont les membres étaient amenés à se greffer à des groupes menés par des individus plus puissants.
On retrouve donc les ingrédients classiques de ce qu'A.Testart appelait des ploutocraties ostentatoires : l'influence politique, faiblement formalisée, était conditionnée par la détention de la richesse (elle-même souvent fortement dépendante du succès matrimonial, les épouses constituant une ressource privilégiée en travail et, en l'occurrence, en terres). Bruce Knauft, dans sa très belle étude comparative sur les sociétés de la région (South Coast New Guinea Cultures. History, comparison, dialectic, 1993), affirme de surcroît que la richesse se manifestait dans la confection des bijs pole, ces mâts gravés emblématiques des Asmats. Selon lui, la fabrication d'un de ces mâts supposait que le commanditaire ait les moyens de nourrir les graveurs durant tout le temps de leur office, soit deux ou trois mois. Toujours selon B.Knauft, l'inauguration du bijs pole donnait lieu à une fête où étaient régalés non seulement les membres du village, mais des invités de villages voisins, si bien que le nombre de convives pouvait atteindre 2 000 personnes ! Je n'ai pas été capable d'identifier cette information dans la thèse de D.Eyde, et il faudrait que je consulte à nouveau l'ouvrage de B.Knauft pour en trouver la source. Toujours est-il que s'il est avérée, elle permet de prendre la mesure des capacités économiques nécessaires pour jouer un tel rôle, et de comprendre qu'elles n'étaient pas à la disposition du premier venu.

Le sagou et le stockage

Si l'existence de la richesse dans la société asmat ne fait donc aucun doute, l'absence de pratiques de stockage alimentaire est en revanche plus difficile à établir. La principale ressource de nourriture est le palmier sagoutier (Metroxylon sagu). Les troncs de cette plante atteignent une hauteur de 10 à 17 mètres, pour un diamètre de 50 à 80 centimètres. Chaque tronc fournit entre 125 et 175 kg de farine (ces chiffres sont purement indicatifs, étant susceptibles de varier considérablement selon les zones et les variétés de plantes). Le sagou met une quinzaine d'années à parvenir à maturité, et doit être abattu dans un laps de temps assez court, durant lequel sa production de farine est maximale.
En ce qui concerne les rendements, on trouve selon les sources des évaluations passablement divergentes. D.Eyde estime qu'une parcelle d'un hectare fournit en moyenne chaque année une soixantaine d'arbres exploitables, produisant un peu plus de 9 tonnes de farine brute, soit une grosse vingtaine de millions de calories – de quoi nourrir quotidiennement 20 à 25 adultes (ce calcul met de côté le fait que la farine de sagou est loin de fournir la ration de protéines et de vitamines nécessaires, et qu'une population ne saurait donc survivre sur la base de ce seul aliment). Roscoe (1982), citant Ruddle (1978) donne pour sa part des chiffres six à huit fois inférieurs ! En l'état actuel de mes lectures, je n'ai aucun moyen de savoir qui est le plus près de la vérité, la littérature sur le sujet semblant très restreinte.
La récolte et le traitement de la farine de sagou
Les sources divergent sur un autre point important ; l'ensemble des témoins – en particulier G. Zegwaard, chronologiquement le premier d'entre eux – assurent en effet que les Asmats se bornent à récolter le sagoutier qui pousse à l'état sauvage, sans pratiquer aucune forme de culture (ni pour cette plante, ni pour d'autres), D.Eyde assure pour sa part que s'ils ne plantent pas les palmiers dans la forêt – tout au plus dégagent-ils les herbes autour d'un arbre particulièrement imposant –, ils le font dans l'enceinte du village. De même cultivent-ils quelques « jardins rudimentaires » où la plupart des végétaux apparaissent cependant avoir été introduits par les Européens (p.23). Quelle que soit la fiabilité de cette information, il semble que les conséquences en soient négligeables, l'essentiel de la nourriture (et de très loin) provenant des palmiers sauvages. Roscoe (1982), dans un bel article de synthèse, signale que cette incertitude concerne beaucoup de tribus de la région, qui procédaient à une culture occasionnelle de cette plante, qui demandait très peu de préparation et de soins. Cet auteur ajoute toutefois que la question ne possède qu'un enjeu relatif ; dans l'ensemble de la Nouvelle-Guinée, « ce qui est particulièrement frappant dans ces différences de complexité culturelle, c'est l'absence apparente de toute corrélation significative avec le degré de dépendance vis-à-vis de l'agriculture. » (p. 157). Roscoe signale ainsi que les Asmats, avec leur alimentation exclusivement (ou presque exclusivement) sauvage, possèdent des structures sociales nettement plus différenciées que certaines tribus pratiquant, au moins à un certain degré, l'agriculture.
J'en arrive à la difficile question des stocks. Il est clair qu'à la différence du palmier moriche, exploité par les Warau de l'Orénoque, la production du sagoutier néo-guinéen n'est pas saisonnière. Les Asmats n'ont donc a priori aucune raison de se livrer au stockage alimentaire. Pourtant, on lit que la farine, une fois préparée, se conserve plusieurs semaines (Eyde, p. 38) voire plusieurs mois (Ruddle, p. 27 – la remarque est toutefois faite à titre général, et ne concerne pas particulièrement les Asmats).
Plusieurs passages laissent penser que pour des raisons purement sociales, la récolte de sagou ne suit pas un rythme régulier au cours de l'année. Les cycles cérémoniels, en particulier, qui peuvent durer plusieurs semaines ou plusieurs moins, donnent lieu à des distributions régulières de nourriture dans la maison des hommes et, lors de leur conclusion, à une « distribution massive » (Eyde, p. 337). En amont de ces distributions, ont lieu des récoltes collectives. Des leaders invitent l'ensemble du groupe de la maison des hommes à se rendre dans leurs zones de palmiers afin d'y abattre des arbres.
On pourrait donc être tenté de penser que des réserves, parfois importantes, se constituaient et se consommaient au cours de ces cycles cérémoniels. Cependant, je ne crois pas qu'il en était ainsi et qu'on puisse se hasarder à affirmer que l'économie asmat reposait sur un large stockage alimentaire, pour une raison simple : aucun témoin n'a fait état d'une telle pratique, ni des dispositifs matériels qui l'auraient permise. Cette preuve par la négative peut sembler fragile, mais je la pense au contraire relativement robuste. Le stockage, s'il est un élément déterminant de l'économie, rythme celle-ci de manière marquante. Il exige de plus des moyens matériels spécifiques. Dans ces conditions, je ne vois aucune raison pour laquelle pas un seul ethnographe n'aurait mentionné son existence. Il faut donc conclure que selon toute vraisemblance, la société asmat ne pratiquait le stockage alimentaire que sur échelle marginale.

Le lieu du problème... et une solution possible

Dans ces conditions,  il est clair que les Asmats – qui exemplifient la catégorie de « sédentarité pour raisons écologiques » – constituent une exception à la loi formulée par A.Testart, selon laquelle le développement de la richesse accompagne celui du stockage alimentaire. On ne peut, d'ailleurs, que regretter le fait qu'A.Testart n'ait pas traité ce problème dont il avait pourtant lui-même identifié les termes.
Toujours est-il qu'une première réponse serait de considérer les Asmats comme une exception sans signification particulière. Après tout, les phénomènes sociaux ne sont pas obligés d'obéir à des lois aussi strictes que celles de la physique, et il paraît possible d'admettre que les plus assurées des régularités sociales ne fonctionnent pas à 100%. Il faudrait ainsi traiter les Asmats comme une singularité, voire renoncer à expliquer celle-ci faute d'éléments suffisamment précis. Si une telle position n'est pas absurde par principe, on ne saurait néanmoins renoncer à toute possibilité d'explication avant d'avoir fait quelques tentatives. Or, dans le cas présent, je ne crois pas que celles-ci soient sans espoir.
Un collier de dents de chien,
de ceux qui figuraient dans le prix de la fiancée
Une position encore plus radicale serait de déclarer nulle et non avenue la corrélation entre stockage alimentaire et développement des inégalités ; mais le remède serait alors pire que le mal. Cette corrélation est éprouvée dans des centaines, si ce n'est des milliers de cas. Elle est opératoire, et ne connaît guère d'exceptions – les Asmats en sont précisément une des seules. Nier la règle générale au nom de ces exceptions n'aboutirait donc pas, tout au contraire, à une meilleure compréhension des phénomènes sociaux.
Le problème consiste donc à affiner la relation entre richesse et stockage alimentaire d'une manière compatible avec l'exception asmat. Il me semble que la chose est d'autant plus nécessaire qu'Alain Testart n'avait nulle part dans son œuvre réellement explicité la causalité censée opérer entre les deux phénomènes. À ma connaissance, il n'a jamais dit pour quelles raisons le stockage alimentaire avait pour effet d'engendrer le passage de prestations matrimoniales ou de compensations pour dommages corporels en nature vers des versements en biens. Confronté à mon tour à ce problème dans ma Conversation..., j'émettais l'hypothèse que l'explication tenait au fait qu'avec le stockage alimentaire, une grande quantité de travail humain se mettait, sur une échelle relativement large et régulière, à s'incarner dans certains biens. Ainsi, une longue durée de prestations en travail pouvait-elle, pour la première fois, être tenue pour équivalente à un certain nombre de ces biens.
Or, si le stockage alimentaire répond à cette définition, il n'est pas nécessairement le seul dans ce cas. Si mon hypothèse est juste, même en l'absence de stockage alimentaire, toute société qui produirait de manière importante certains biens nécessitant de nombreuses heures de travail serait susceptible, pour les mêmes raisons, de basculer vers les paiements et donc, vers la richesse et les inégalités. Or, je crois qu'on peut défendre l'idée que tel était le cas de la société asmat, où l'un des biens essentiels était le canoë. Celui-ci était de taille très variable : celui des enfants mesurait deux mètres ; le canoë d'usage courant, pour la pêche et la récolte du sagou dans les marais, entre 7 et 14 mètres. Quant aux vaisseaux de guerre, ils pouvaient atteindre 20 mètres. D.Eyde ne donne pas de détails très précis sur le temps passé à la fabrication (réalisée semble-t-il, à son époque, au moins partiellement à l'aide de haches de métal). Toutefois, il indique que la réalisation d'un grand canoë pouvait exiger deux mois de travail, voire davantage (p. 45).
On pourrait avancer que l'absence du canoë, parmi les biens qui forment le prix de la fiancée cités plus haut, constitue une objection majeure à ce raisonnement. Ce n'est pas le cas. D'abord, parce que rien n'oblige la composition actuelle du prix de la fiancée à être la même que celle qui existait lorsqu'il fut institué. Ensuite, et surtout, parce que le canoë fait, semble-t-il, en réalité partie du prix de la fiancée. C'est en tout cas ce que l'on peut déduire de l'information fournie par D.Eyde, selon laquelle « Un homme fabrique d'ordinaire un canoë pour lui-même ou pour les frères ou le père de sa fiancée, ou de sa femme. Il s'agit d'un des principaux devoirs d'un homme envers les frères et le père de sa femme, et un homme doit fournir un canoë aux frères ou au père de sa fiancée avant le mariage. » (p. 43).
L'hypothèse selon laquelle c'est la production de biens représentant une grande quantité de travail individuel, et non en soi le stockage alimentaire, est donc un élargissement de la loi formulée par A.Testart. Cet élargissement permet de rendre compte du cas particulier de la « sédentarité pour raisons écologiques ». Mais il permet aussi d'éclairer, me semble-t-il, celui de sociétés en transition comme celle des Jivaros dont je traitais dans ce billet ; là, les biens à forte quantité de travail ne proviennent pas d'une évolution sociale et technique interne ; ce sont des biens apportés de l'extérieur – principalement, les carabines des Blancs.
Pour finir, quelques mots sur la robustesse de cette hypothèse. Pour la réfuter, il conviendrait de trouver soit des exemples de peuples produisant de tels biens sans avoir pour autant engendré les paiements et les inégalités de richesse ; soit des peuples chez qui les paiements existent, et qui ne produisent pas de tels types de biens. La seconde catégorie, supposant l'absence de stockage alimentaire, est probablement très peu représentée. En ce qui concerne la première, je ne connais pas suffisamment bien la Nouvelle-Guinée pour savoir si elle en fournirait des exemples ; peut-être l'Australie du Cap York, avec ses filets de pêche longs de plusieurs dizaines de mètres, en fait-elle partie...

8 commentaires:

  1. Je vois que tu as finalement réussi à remarxiser la théorie de Testart. Toutes mes félicitations ;)

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    1. Je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle, mais c'est loin d'être absurde. Merci de cet éclairage inattendu. Cela dit, cela reste un point relativement secondaire. À un autre niveau, plus fondamental, la théorie de Testart est tout-à-fait (et explicitement) réfractaire au marxisme, et je ne crois pas qu'on puisse concilier les deux (ce qui n'empêche pas d'avoir une lecture marxiste des résultats sociologiques et archéologiques de Testart, ce qui est tout différent).

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  2. Seulement je me demande : Y a-t-il de la richesse partout où l'on fabrique des objets qui demandent une importante quantité de travail ?

    Pour rester sur l'exemple des canoës - je crois savoir qu'il y en a en Australie - quid de leur fabrication. Est-ce le travail d'un seul homme, ou de plusieurs ?

    Car dans ce cas il faudrait envisager, en plus du temps de confection, l'ensemble des personnes qui en sont propriétaire une fois le travail achevé. Y a-t-il là encore une appropriation collective du long travail d'un seul homme ? Ou bien encore est-ce la propriété d'un homme seul, mais avec l'obligation de prêter à qui lui formule la demande.

    En tout cas merci beaucoup pour ce billet captivant et très stimulant.

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    1. C'est précisément la question que je pose à la fin du billet. Pour les Australiens, je ne crois pas que les canoës soient un bon exemple. Dans mon souvenir, ils sont relativement grossiers, faits à partir d'écorce, et ne demandent pas un travail considérable ; c'est pourquoi, quitte à considérer les Aborigènes comme un contre-exemple possible, les filets me semblaient une meilleure piste. Mais clairement, je n'ai pas (encore ?) les moyens de répondre de manière précise à ces questions, et cela nécessitera de bosser sur le sujet.

      Quant à la question du caractère plus ou moins individuel du travail et de l'appropriation de son résultat, je me la suis un peu posée... sans avoir été capable d'aller plus loin.

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  3. À propos du cas des Calusa, un papier récent :
    http://dx.doi.org/10.1016/j.jaa.2015.10.004

    C'est une étude de la composition chimique des os d'une quarantaine de squelettes calusa, qui montre une alimentation essentiellement basée sur la faune marine, et aucun indice de consommation de maïs (la question "les Calusa pratiquaient-ils la culture du maïs ?" étant apparemment débattue depuis longtemps par les spécialistes). Les auteurs concluent à un régime de chasseur-collecteur littoral strict. Si on s'en tient aux données de cette étude, on est amené à penser que, s'il y avait du stockage chez les Calusa, ça devrait donc être un stockage de poisson, parce que les ressources végétales semblent avoir été peu importantes dans leur alimentation...

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    1. Un grand merci pour cette référence. D'après ce que je sais, en Floride, le poisson est présent tout au long de l'année et il n'y a pas de raison majeure qui aurait pu pousser les Calusa à le stocker de manière significative – c'est toute la différence avec la Côte Nord-ouest, où le saumon n'abondait qu'à certains moments de l'année. Cela augmente la probabilité que les Calusa se rapprochent des Asmats.

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    2. Oui, d'autant que, si j'ai bien compris l'article, les ressources marines dans ce coin-là sont très diversifiées - ils parlent de poissons mais aussi de requins, d'invertébrés, etc. On imagine mal comment stocker à grande échelle des ressources aussi hétéroclites, en tout cas je ne crois pas qu'on ait d'exemple d'une situation de ce genre.

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    3. Il y a le problème du comment, mais il y a aussi (surtout ?) le problème du pourquoi. Et la question est sans doute moins celle de la diversité des ressources que celle de leur permanence tout au long de l'année. La ressource de base des Asmats se limite au palmier sagoutier ; mais l'absence de saisonnalité conduit à la non-nécessité du stockage. Il semblerait que le mécanisme soit le même chez les Calusa : diversifiées ou non, les ressources marines abondaient en toute saison.

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