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Deux visites à Samara

L'équipement  d'un combattant gaulois,
avec entre autres sa belle cotte de mailles.
Samara, c'est ce parc préhistorique injustement méconnu situé dans les environs d'Amiens, et qui propose un concept assez rare en France : ne pas faire un musée, avec quelques traces peu loquaces et des vitrines d'objets désincarnés, mais proposer au public des reconstitutions,  où des animateurs généralement passionnés interagissent avec les visiteurs, réalisant et commentant des démonstrations, voire laissant ceux-ci tâter eux-mêmes à la matière.
Le parc comporte trois reconstitutions d'habitats et un bâtiment central. L'idée est de balayer toute la préhistoire, pour mettre en perspective l'aventure humaine, depuis les lointains chasseurs-cueilleurs jusqu'à « nos ancêtres les Gaulois ». On peut donc successivement se promener au milieu d'un campement de chasseurs de rennes du Magdalénien, s'asseoir autour d'un feu dans une longue maison néolithique, ou pénétrer une ferme gauloise, avec l'habitat du (riche) propriétaire et ses greniers. En plus de cela, un peu comme au château de Guédelon (une réussite magistrale), le chemin est parsemé d'ateliers (poterie, bois, teinture...) où un animateur, ou une animatrice, peut régaler le passant de mille savoirs techniques. C'est littéralement captivant, et l'on pourrait facilement y passer la journée entière. Sans parler de la qualité des reconstitutions – toutes réalisées, naturellement, sous la houlette d'archéologues professionnels. Il est tout de même largement plus gratifiant de rester une heure dans une maison néolithique, en examinant des outils et en voyant un vrai-faux « homme du Rubané » fabriquer une flèche ou faire du feu avec deux pierres et un peu d'amadou, que de voir quelques trous laissés par des poteaux – la seule chose qu'un authentique site de fouilles pourrait montrer.
Le bâtiment, lui aussi, a pris le parti de la reconstitution et non du musée. Les scènes les plus spectaculaires et les plus réussies sont celles des âges du Bronze et du Fer.
Il faut donc aller à Samara, et y prévoir au moins une longue demi-journée. Par beau temps, c'est vraiment un régal – les amateurs d'animaux pourront en profiter pour s'étonner devant les moutons de Jacob, une race très proche de leurs cousins du Néolithique et dont les mâles possèdent une superbe paire de cornes... et parfois plusieurs !
L'entrée de la ferme gauloise.
Discrets et de bon goût, deux crânes ennemis
signalent les exploits guerriers du propriétaire.
Je dois néanmoins terminer sur un petit (?) bémol, qui concernent certains aspects des exposés. Evidemment, sur la forme, on accroche plus ou moins au ton de tel ou tel conférencier. Le premier que j'avais écouté, il y a quelques mois, était très naturel et simple ;  celle qui officiait il y a quelques jours était en revanche très affectée et pesamment didactique. Et si, évidemment, ces conférenciers ne peuvent pas tout savoir sur tout et font forcément quelques approximations, il y a quand même des choses un peu gênantes qui ressortent globalement des différentes interventions. D'abord, même si celles-ci insistent à juste titre sur les mélanges et les migrations, l'histoire qu'elles racontent est quand même entièrement racontée du point de vue de notre propre balcon : on ne parle des autres parties du monde que quand elles sont venues directement influencer notre petit bout d'Europe occidentale. C'est flagrant, par exemple, quand on aborde le Néolithique pour le résumer au Proche-orient, sans jamais évoquer le fait qu'il y a eu d'autres foyers ailleurs dans le monde. Et puis, autant on a le sentiment que sur les aspects techniques, le savoir est en mouvement et à la page, autant sur certaines grandes lignes, les exposés ont pris un regrettable coup de vieux. Pas un mot, par exemple, de la sédentarité avant l'agriculture, alors même qu'on évoque le Proche-orient. Pas un mot non plus sur le fait que les inégalités de richesse ont pu précéder l'Âge du Bronze, voire le Néolithique, quand le contraire n'est pas carrément affirmé. Quant à la guerre, comme chacun sait (ou croit savoir), elle est née avec les métaux, de même que les chefs et le commerce, parce que « quand on discute des prix, on n'est pas d'accord et du coup, on se tape dessus » (hélas, je n'invente rien, et si cette formulation est particulièrement caricaturale, sur le fond, c'est l'opinion unanime des animateurs).
Bref, si dans l'état actuel des choses, la visite est hautement reccommandable, on ne peut qu'appeler de ses vœux un vigoureux toilettage du contenu sur ces sujets cruciaux. Elle deviendrait alors incontournable !

Et en bonus, un authentique paléolithique assurant son repas du soir (et celui de ses invités) :

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