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« La guerre avant l'agriculture... » : l'enregistrement vidéo

L'enregistrement de la conférence que j'ai eu le plaisir de donner dans le cadre du dernier Congrès de la Société Préhistorique Française, en partenariat avec le Musée Saint-Raymond, est en ligne – y compris les échanges qui l'ont suivie. Comme d'habitude, je répondrai bien sûr à tous les commentaires, qu'ils soient écrits sur le site qui héberge cette vidéo ou ici-même.

Bon visionnage !

10 commentaires:

  1. Il y a un truc auquel je pense depuis pas mal de temps au sujet des "motifs de guerre"

    On est d'accord pour dire que les guerres ne sont jamais explicitement déclenchées pour prendre des femmes ou des territoires. Mais ne peut-on pas imaginer qu'existent dans ces sociétés des "casus belli" ? C'est-à-dire de fausses bonnes excuses (socialement acceptables) pour déclencher une guerre . Du genre - pour notre moyen-âge - Urbain II qui balance "allons libérer le tombeau du Christ!". Mais dans le cas des croisades je ne crois pas qu'on puisse dire que l'enrichissement et le pillage étaient des sous-produits.

    Parce que, de tout ce que je vois parmi les Krou (période précoloniale) où la richesse existe et où l'esclavage existe aussi, les buts explicites de guerre restent les mêmes : les droits sur les femmes (notamment les cas d'adultère) et les vengeances pour meurtre par sorcellerie (supposé) d'un village éloigné. Pourtant on capture bien des esclaves à l'occasion.

    En parlant de "sous-produit" on élimine les captures de femme (ou d'esclave ailleurs qu'en Australie) des causes potentielles de la guerre dans ces sociétés. Or ces sociétés peuvent bien se donner de nobles motifs tout en nourrissant de basses ambitions. Si un groupe d'homme se fédère officiellement autour d'une vengeance, certains d'entre eux - et peut-être pas une minorité - peuvent s'y lancer en espérant autre chose.

    Dans un conflit - qui n'était évidement pas une guerre - à Goya, les jeunes guéré se donnaient toutes les bonnes raisons du monde d'expulser violement les baoulé "ils nous respectent pas" "ils ont blessé un de nos frères". Mais évidement en grattant un peu on se rend vite compte que les meneurs ont bien autre chose à y gagner : des terres, des effacements de dettes.

    Il y a peut être un manque d'information dans les ethnographies. ça ne serait pas trop étonnant.

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    1. J'étais resté sur l'idée que la fonction des croisades avait surtout été politique (détourner l'agressivité guerrière des chefs féodaux vers un objectif lointain pour pacifier les monarchies en cours de cristallisation). Mais en fait, cet excellent texte montre que vous avez raison de pointer le profit des croisades pour leurs instigateurs :

      http://blogs.histoireglobale.com/les-croisades-quelles-consequences-economiques-pour-leurope_2278

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    2. On pense aussi à l’Iliade : l’opération militaire est déclenchée suite à un litige matrimonial entre Sparte et Troie, mais la coalition achéenne semble y participer également (avant tout ?) pour les pillages collatéraux occasionnés par la guerre. Et c’est justement une bisbille autour de femmes capturées lors de ces raids qui déclenche la "colère d’Achille" autour de laquelle s’articule tout le récit d’Homère…

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    3. Je ne connais pas bien les croisades. Mais que le but réel soit l'argent ou la pacification des royaumes chrétiens, le problème reste le même. Bon, cela dit, d'après ce qu'en dit Christophe, si on ne peut pas totalement exclure l'existence de motifs cachés, on ne possède en revanche rien pour l'Australie qui ne semble suggérer que la prise de femme fut un but de guerre.

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  2. C'est évidemment un vrai problème, qui mérite d'être examiné de près. Pour commencer, je dirais bien que lorsqu'un but de guerre réel est systématiquement dissimulé et doit se déguiser derrière un prétexte, cela nous dit quelque chose de la société en question. L'hypocrisie, a fortiori si elle est systématique sur un sujet donné, est une information essentielle.
    L'autre aspect, c'est tout de même que les sous-produits, cela existe, et que si on doit en effet se poser la question de savoir si les femmes et les terres n'étaient pas les vrais buts non avoués des guerres, il est possible de répondre par la négative.
    Dans un cas comme dans l'autre, après avoir fait de mon mieux pour peser le pour et le contre, je suis convaincu que dans la plupart des cas, c'est la seconde option qui correspond aux faits. La conquête territoriale n'était sans doute pas complètement inconnue, mais elle semble avoir été très rare - et dans mes 215 événements, je n'en ai pas une seule occurrence. Quant aux femmes, c'est un peu plus délicat, mais je crois quand même que si elles avaient été les buts réels de guerre, cela se verrait à la fois dans le propos des vainqueurs et dans leurs comportements. Or, ni l'un ni l'autre ne pèse vraiment dans ce sens. Il y a très peu d'Aborigènes qui disent qu'en fait, les opérations militaires ont pour véritable but de s'emparer des femmes. Les quelques femmes récupérées le sont manifestement à titre individuel, par un membre de la troupe qui saisit cette opportunité. Ce n'est pas un acte collectif, encore moins systématique : dans bien des cas, la troupe victorieuse massacre tout le monde, hommes, femmes et enfants.

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  3. Je n'ai pu voir la vidéo qu'aujourd'hui en replay et je l'ai trouvée très intéressante. J'aurais aimé vous demander si parmi les origines d'un conflit il pouvait y avoir aussi la volonté d'appropriation d'un chant ou d'un lieu du rêve dont une autre tribu était propriétaire

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  4. Merci pour cette interview extrêmement stimulante. Je me rends compte que la société sans État que tu décris à propos de l'Australie des Aborigènes ressemblent beaucoup au modèle hobbesien (« l'homme est un loup pour l'homme ») qui permet d'expliquer l'émergence de l'État. Moi qui pensait que c'était un simple modèle hypothético-déductif et en rien un modèle historique…

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    1. Je suis très loin d'être un spécialiste de Hobbes. Je ne l'ai jamais lu (de même, me semble-t-il, que pas mal de gens qui s'y réfèrent !). Mais en cherchant un peu, je crois qu'il est facile de montrer que le raisonnement qu'il tient s'appuie bel et bien sur ce que l'on connaissait alors de peuples sans État. Par exemple :
      « Peut-être peut-on penser qu'il n'y a jamais eu une telle période, un état de guerre tel que celui-ci; et je crois aussi que, de manière générale, il n'en a jamais été ainsi dans le monde entier. Mais il y a beaucoup d'endroits où les hommes vivent aujourd'hui ainsi. En effet, en de nombreux endroits de l'Amérique, les sauvages, à l'exception du gouvernement de petites familles, dont la concorde dépend de la concupiscence naturelle, n'ont pas du tout de gouvernement et vivent à ce jour d'une manière animale, comme je l'ai dit plus haut. »
      Là où évidemment Hobbes se trombe doublement (et lourdement), c'est d'une part en affirmant que la « guerre de tous contre tous » est assimilable une vie « animale », d'autre part que les sociétés caractérisées par le « gouvernement de petites familles » en seraient exclues.

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